Il ne s’en lassait pas. Chaque jour, sa promenade lui permettait de découvrir de nouvelles merveilles ou plus exactement voir de façon nouvelle ces merveilles qu’il connaissait par cœur. Ainsi cette statue de Bouddha couché au milieu de l’herbe lui apportait soudain un profond sentiment de plénitude et de calme qu’il n’avait jamais éprouvé auparavant ; un petit Hanumān, le dieu singe hindou, les avait fait rire, Monique et lui, car il semblait vouloir jouer à cache-cache avec eux ; la luxuriance des plantes, les orchidées aux mille espèces, rivalisant en couleurs, formes et beauté, les fleurs de lotus dans les bassins et celles poussant à même le tronc de certains arbres[7], montraient l’inventivité sans limites de la nature végétale pour séduire animaux et humains.
– Celui qui a dit que les femmes étaient frivoles n’a jamais visité ce jardin.
Le palais royal était une des attractions de Phnom Penh, la plus importante. Quiconque découvrait la capitale, y sacrifiait une matinée. Sihanouk et Monique disposaient dans cette enceinte d’un vaste terrain privé. De temps en temps, un touriste, un Cambodgien les apercevait et les appelait pour attirer leur attention, les prendre en photo. Ils répondaient gentiment d’un geste la main.
Ils passaient beaucoup de temps à prier. Tous les matins, devant chacune des statues de bouddha de leur chapelle personnelle, ils allumaient des bougies, des baguettes d’encens, déposaient des fleurs, puis s’agenouillaient. Sihanouk apprenait à pardonner et il songeait à ce que serait sa prochaine vie, parfois avec angoisse, parfois avec sérénité.
Son second règne avait été celui de tous les renoncements et désormais, il n’était plus rien qu’un vieil homme en paix avec lui-même. Cela s’était fait, pas à pas, abandon après abandon, avec, à chaque étape, beaucoup de colère et d’amertume.
Sœun Kimsy suivait le procès des dirigeants khmers rouges d’un œil mauvais[8]. Il avait fini par se faire accepter dans le petit hameau, à être apprécié. Une grande partie de la fortune qu’il avait gagnée lorsqu’il était chef du village sous Pol Pot avait servi à cela, le reste lui avait permis d’acquérir de la terre et de se mettre à l’abri des prêteurs chinois pour l’achat de céréales ou pour louer du matériel. Autour de lui, on connaissait son passé. La plupart de ses compatriotes comprenaient qu’un homme bien – Kimsy était assez généreux pour cela – ait pu participer, malgré lui ou en toute bonne foi, à ces crimes.
Le procès, en ravivant les souvenirs, même s’ils arrivaient très atténués dans les campagnes perdues, avait dégradé son image. L’attitude des prévenus énervait les gens. Ainsi donc, si c’était à refaire, ils le referaient. Où étaient les excuses ? Qui demandait pardon ? À quoi bon un tribunal si l’assassin n’a rien à se reprocher ? Parfois, ses voisins le regardaient comme si, lui aussi, n’avait aucun remord.
Ce n’était pas le cas et il aurait pu leur montrer tout ce qu’il faisait pour racheter ses actes, les sommes versées aux monastères, l’aide qu’il apportait à plus misérable que lui, la compassion réelle qu’il avait pour ses semblables. Ses crimes pesaient sur son bonheur, car il était malheureusement heureux et il le devait à tous ceux qu’il avait dépouillés.
De ces années sombres, il avait ramené un fils, un enfant qu’il avait eu d’une enfant, la Sita d’Oum Savath. C’était maintenant un homme qui travaillait dans sa propriété avec un jeune gamin courant à ses côtés. Oui, pensait-il, il fallait tourner la page et oublier…