Le 28 mai au soir, l’APRONUC s’est félicité de la bonne tenue du scrutin qui s’était déroulé sur six jours. Le lendemain, très tôt le matin, les résultats sont tombés. Une énorme surprise ! Norodom Ranariddh est arrivé en premier avec 45 % des suffrages et 58 députés (il ne manquait que 3 députés pour avoir la majorité). Loin derrière, Hun Sen n’avait que 38 % des voix.
Ranariddh a fait une brève allocution radiodiffusée :
– Avec 85 % de participation, vous avez dit NON aux Khmers rouges qui avaient appelé au boycott ! Vous aviez tant souffert sous leur folle idéologie. Avec les 38 % de M. Hun Sen qui bénéficiait des votes de centaines de milliers de colons annamites venus s’installer au sud de notre pays, vous avez dit NON aussi à ceux qui ont livré notre terre aux Vietnamiens. […] M. Son Sann a accepté de participer avec ses amis à une alliance qui nous assure une majorité confortable et nous formerons ensemble un nouveau gouvernement dont je serai le Premier ministre.
Son fils Ranariddh, grisé par le succès, avait commis une erreur politique majeure : exclure les représentants de l’opposition, refuser que soit représenté au gouvernement un tiers de la population. Son autre fils, Chakrapong, qui était un responsable du PPC, a rétorqué en en faisant une seconde, bien plus grave : il a encouragé la sécession de six provinces proches du Viêt Nam, Prey Veng, Svay Rieng, Kompong Cham, Kratié, Mondolkiri et Ratanakiri qui avait massivement voté pour eux. C’était pour montrer qu’il rejetait le diktat de son frère, mais aussi, pour se positionner comme futur leader de son parti : lui ne se laissait pas faire, contrairement à Hun Sen qui n’avait pas contesté les résultats.
Pour Sihanouk, voir ses deux enfants être coupables de l’implosion du pays était intolérable. Il était urgent qu’il soit roi !
Le 14 juin, l’assemblée constituante s’est réunie pour la première fois. La première résolution, adoptée à l’unanimité, a été d’annuler la déposition de Sihanouk, d’effacer le 18 mars 1970. Le voici à nouveau chef de l’État. Il en était très ému, il avait l’impression d’avoir enfin fermé la parenthèse.
Puis on s’est attaqué à la nouvelle Constitution pour que le pays redevienne une monarchie. Il fallait obtenir le vote de deux tiers des parlementaires. Avec ses 51 élus, le PPC disposait d’une minorité de blocage, Hun Sen était un faiseur de rois, pire de royaumes.
Pas de roi ? Ranariddh s’en moquait, pas Sihanouk ! Devant son arrogance, il est une fois encore entré dans une rage folle et a hurlé à son fils qu’une autre majorité pouvait être mise en place avec le PPC et les députés FUNCIPEC sihanoukistes, peut-être même une majorité des deux tiers ! Ranariddh est resté sans voix. Son père avait-il raison ? avait-il tort ? Nul n’aurait pu répondre.
Le Prince étant chef de l’État, c’était à lui de faire des propositions pour dénouer cette crise. Comme d’habitude, il a opté pour un gouvernement d’union, mais les pourparlers pour le former ont traîné en longueur, les deux leaders se disputaient sur tous les ministères. Finalement, il a trouvé une solution. Une solution à la Sihanouk !
Le 24 septembre 1993, la nouvelle constitution a été officiellement promulguée, la monarchie rétablie et, dans la foulée, Sihanouk élu roi du Cambodge. Il a alors désigné Norodom Ranariddh comme Premier ministre et, ainsi qu’il en a été convenu entre les deux partis, Hun Sen comme deuxième Premier ministre.
Tous les services avaient à leur tête deux responsables, l’un du FUNCINPEC, l’autre du PPC. Son fils avait accepté, car ses hommes étaient, partout, les premiers, Hun Sen parce que, l’administration lui étant acquise, le rapport de force était en réalité en faveur des siens.
Sihanouk, cependant, jubilait, content d’avoir renardé avec un renard. Ce n’était pas pour rien qu’il avait fait cette proposition bizarroïde. En effet, dans ce gouvernement bicéphale, il était évident qu’il y aurait dans chaque ministère une empoignade entre les deux autorités. Or, en cas de conflit ouvert, les deux partis n’avaient d’autre choix que de se tourner vers la puissance conciliatrice, c’est-à-dire… le roi. Un souverain libre de ses décisions, libre de pencher vers le FUNCINPEC plutôt que vers le PPC. Hun Sen était piégé, mais surtout, alors qu’on avait voulu le mettre sur la touche, il s’était rendu incontournable.
C’était compter sans la colère de son fils qui a rejeté son aide, le renvoyant à son rôle de monarque constitutionnel. Le roi règne, mais ne gouverne pas ! répétait-il en refusant l’arbitrage de son père.
Sihanouk a dû reconnaître sa défaite.
– Et celle de Ranariddh. Il est trop vindicatif. À nous deux, nous aurions pu dominer Hun Sen ; seul, il n’a aucune chance.
En attendant, lui était hors course.