Début septembre, à son retour, Rithy découvre une situation dégradée. Le pays se mettait lentement à reconstruire, à construire. On a projeté la construction d’une scierie et, hormis les personnes très âgées et les tout jeunes, garçons et filles, sont envoyés y travailler dans ce que l’on appelle des unités mobiles. C’est à un jour de marche, aussi restent-ils sur place plusieurs jours.
Rithy rencontre, par hasard, Keo qui doit bientôt partir pour un nouveau chantier. Ils se parlent froidement comme si chacun était responsable des malheurs de l’autre. Elle a perdu cet air enfantin qui faisait son charme. Elle n’a aucune nouvelle de son mari ni de Heng, elle n’en souhaite pas.
– Et Vithara ? Et Sita ? Comment vont-ils ?
À ces noms, Keo pleure.
– Sita va bien. Angkar en est content. Elle aussi. Pour elle, ce monde est un terrain de jeu. Elle devient une vraie révolutionnaire. En attendant, on se voit de temps en temps quand je reviens à la coopérative, elle est un grand réconfort pour moi.
Vithara ? Keo n’en parle pas. Rithy insiste. Il se doute que le pire est arrivé, mais il veut l’entendre, il souhaite pouvoir faire son deuil.
– Tu te souviens comme il était gourmand et paresseux ! Ce pays n’était pas fait pour lui. Mith Li m’a dit que, malgré son âge, le fruit était pourri. Elle a cité en exemple Sita qui, elle, a toutes ses chances de réussir dans le paradis que nous sommes en train de bâtir.
Rithy fait un geste pour la consoler, mais elle le repousse. Elle s’est repliée sur la survivante, sa façon à elle de tenir. Ils n’ont plus rien en commun. Ils se quittent, la famille a cessé d’exister.
Chang Tao est revenu, lui aussi. Il a encore maigri. Il est content que Rithy soit rétabli, il a tant besoin de lui. Les unités mobiles ont accru ses difficultés et ceux de sa fille.
– Avec l’apparition de ces unités, il devient quasiment impossible de se nourrir en dehors des repas communs. Souvent, les groupes restent deux, trois jours, parfois une semaine à l’extérieur, sans compléments alimentaires. En rentrant, il nous faut un ou deux bols de riz supplémentaire. On pourrait l’acheter, mais à ce rythme, les bijoux seront vite épuisés. La manière la plus sûre de subsister est d’être embauché à la cantine.
Bien sûr, sa fille n’aura jamais cette possibilité. Tao a envie de pleurer. Tout est si injuste. Seuls les plus forts survivront et il part avec tant de handicaps. Rithy se tait. Il a de la peine pour son ami.
– Tu vas proposer à mith Sy de te prendre aux cuisines contre un nouveau bijou. Un beau, il ne pourra pas refuser. Tâche de garder cette place aussi longtemps que tu peux. De temps en temps, nous sortirons une breloque jusqu’à épuisement. À ce poste, tu n’auras aucun mal à survivre, tu pourras manger tous les jours à ta faim. Il faudra seulement songer à ma fille, à en détourner assez pour qu’elle puisse reconstituer ses forces quand elle sera présente au camp.