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XXI - Page 21 sur 23 - Les 9 vies de Norodom Sihanouk

XXI

Quand il ouvre les yeux, autour de lui, il y a des dizaines de lits occupés. On gémit. Une odeur épouvantable le prend à la gorge, le réveille complètement. À sa gauche, un garçon, un squelette se tient assis, le regard vague, il ne parle pas, il respire à peine. C’est lui qui pue. Une femme qu’il n’aperçoit pas couine sans discontinuer. À sa droite, un vieil homme lui sourit, mais quel âge a-t-il vraiment ? Il ne répond pas quand il essaie d’entamer une conversation.

Il est à l’hôpital de la révolution. Le cauchemar n’est pas fini.

Il n’en est ni surpris ni déçu. Il est trop faible pour cela. Il note la situation avec simplicité. Il a des bleus partout, de nombreuses plaies, il a mal et il tousse. Une infirmière entre dans la pièce, c’est une fille d’une vingtaine d’années, une solide paysanne, très certainement une communiste confirmée et compétente. Elle ne semble pas gênée par l’odeur. Elle lui sourit, lui prépare une injection de Pepsi-Cola. Il refuse.

– Ne soyez pas stupide. Ce n’est que le récipient. À l’intérieur de la bouteille, il y a un remède que nous fabriquons nous-mêmes.

Elle lui donne sa piqûre, en riant. Lui non. Jamais intramusculaire n’a été aussi douloureuse !

À la suite de cette injection, il s’endort rapidement. Combien de temps ? Impossible de le dire. On le réveille pour le potage du soir. Il n’a pas faim. Il ne veut pas manger. Il rêve de mourir, de rejoindre ceux qu’il aime, pas seulement son père, sa mère, son frère, son neveu, mais également tous ces inconnus qu’il a croisés et dont il a croqué l’humanité au cours de sa vie. Il songe à son carnet de dessin resté au village et il comprend qu’il doit vivre, qu’il doit lutter pour lui. Il prend la cuillère et déglutit le potage. Bouchée après bouchée. Il avale péniblement sa soupe. Heureusement, elle n’est pas épaisse.

Dans l’hôpital, il y a une dizaine d’infirmières, des paysannes, tout en noir. Le médecin-chef, une femme également, est très jeune. Elle est toujours très calme, souriante, très polie, mais ne vient pas souvent. Les autres, par contre, respirent l’ignorance, la bêtise, et le mépris. Pour elles, c’est parce que les malades ne sont pas assez révolutionnaires qu’ils meurent malgré leurs soins. Leur travail se limite à des piqûres et à débarrasser les cadavres.

Aussi bizarre que cela paraisse, les médicaments lui font du bien. Il reçoit tous les jours une injection de « pepsi cola ». Souvent, il y a un petit abcès dû au manque d’hygiène, mais cela reste circonscrit. Quant aux cachets que l’on appelle « crottes de lapin » en raison de leur couleur, il ignore leur contenu, mais ils sont inoffensifs[14].

Le temps est long à ne rien faire, à se souvenir des disparus et à pleurer. Il repense à tout ce qu’il a vécu ces derniers jours, il a l’impression que le fil de sa vie brûle depuis le 17 avril à toute vitesse. À ce rythme, il sera bientôt mort.

Il se remémore le choc à la tête, le tronc qui lui échappe. Il se rend compte que la main, loin de le secourir, a tenté de le noyer. À force de voir et de revoir l’action, il finit par s’en persuader. Il est sidéré. Dans ce pays où la vie n’a aucune valeur, quelqu’un qu’il ne connaît pas, quelqu’un qui, compte tenu des circonstances, ne lui survivra pas, quelqu’un qu’il ne recroisera plus jamais a essayé de le tuer.

Le kamaphibal ? Il n’avait qu’à sortir son arme et à tirer, personne n’aurait rien dit. Et pour quelle raison l’aurait-il fait ?

Un des moines qui travaillaient au barrage ? Pourquoi s’en prendrait-il à lui ? Il est resté si peu de temps. Comment aurait-il pu se faire un ennemi ? Le seul qu’il connaisse est Sok Bonarith et il doute que son ami ait tenté quoi que ce soit contre lui !

Soudain, la vérité jaillit : ses frères ! Heng ou Hout auraient-ils profané un site religieux ? Le communiste et le républicain ne croyaient plus au bouddhisme et le pays était en guerre. On se sera vengé sur lui. Petit à petit, sa pensée s’embrouille, il a de la fièvre, et son raisonnement est confus. Il faut que je demande à mith Sy de ne plus m’y envoyer, se dit il et il s’endort.

Dès qu’il peut, Rithy sort en cachette à la recherche de nourritures supplémentaires. Dehors, il y a beaucoup de goyaviers dont les fruits mûrs dégagent une odeur délicieuse et prégnante. Personne ne semble les cueillir. Sans doute, aucun responsable n’a songé à programmer cette collecte et nul n’ose le faire de son propre chef. D’ailleurs, lui-même ne s’y rend qu’avec des précautions de sioux, car il se trouve à portée de vue de l’hôpital et quelqu’un jetant un œil par la fenêtre peut l’apercevoir. Il en cueille une, ovale. Elle se blottit dans sa main, sa couleur est verte, vert-jaune plus précisément. Visiblement, le fruit est mûr. Il la porte délicatement à sa bouche, puis d’un coup sec, il en arrache un morceau. Sa chair est rose-rouge, pleine de graines, de saveur. Au bout de quelques goyaves, il arrête de les dévorer, il les déguste désormais avec lenteur. Non seulement, sucrées comme elles sont, elles lui apportent beaucoup de calories, mais elles sont riches en vitamine, en particulier de la C. Jour après jour, Rithy se rétablit.

Au bout d’une semaine, le médecin lui annonce fièrement :

– Vous êtes guéri. Vous allez partir immédiatement.

Rithy rit intérieurement. Elle a l’air si contente d’elle-même et si inquiète qu’il reste qu’il se demande s’il n’est pas son premier malade à quitter l’hôpital sur ses deux jambes. Elle craint qu’un séjour prolongé ne fasse chuter sa statistique ! Il joint les mains et la remercie à l’ancienne, ce qui provoque aussitôt chez elle un malaise. Elle regarde tout autour d’eux, ne voit personne, lui sourit, rassurée.

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