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XXI - Page 20 sur 23 - Les 9 vies de Norodom Sihanouk

XXI

Le lendemain, ils partent en marchant d’un bon pas, six, sept kilomètres/heure, ils sont très amaigris, mais ce sont de jeunes hommes à la fleur de l’âge. À 10 h, ils sont à l’endroit convenu, prêts à travailler. Un individu d’une quarantaine d’années, un visage rond, quelques cheveux noirs s’échappant de sa casquette, les accueille. Il sue à grosses gouttes.

– Bonjour camarades, bienvenue à tous. Il y a loin encore avant la pause, alors mettez-vous vite à l’ouvrage !

Il leur montre une rivière. La route doit la traverser. Autour de ce qui ressemble à une ébauche de pont s’active une vingtaine d’hommes, jeunes, tous crâne rasé. Des bonzes défroqués. Bien que, durant la guerre civile, certains d’entre eux se soient ralliés au FUNK, Angkar les trouve féodalistes et bourgeois, mais surtout paresseux et cupides. Tous les peuples du monde ont cette même opinion de leur religieux et innombrables sont les récits qui se moquent d’eux. Ici, le rire a cédé la place à la cruauté. Très rapidement, Rithy comprend que le kamaphibal qui les dirige les déteste et les méprise. Si par mégarde l’un d’eux fait une remarque, se plaint de son sort, il se gausse de lui en lui rappelant les austérités qu’un moine est censé supporter. Le malheureux Sok Bonarith est immédiatement devenu sa tête de Turc comme pour lui faire rattraper tout ce que ses coreligionnaires ont déjà subi.

La cloche sonne enfin midi. Tout le monde s’arrête pour le déjeuner. Toujours le même potage trop dilué. Ici on a pu rajouter quelques légumes sauvages. Le chef devance leurs protestations muettes :

– Vous aviez la vie facile, vous dévoriez le riz sous prétexte de le donner aux anciens. Vous aviez ignoré les souffrances du peuple. Vous lui demandiez d’avoir de la patience, de peiner sans se plaindre, d’accepter son sort. Eh bien, maintenant, acceptez le vôtre ! Prenez vite votre repas et retournez à l’ouvrage.

Pour construire le pont, une partie du groupe travaille à la production de planche et de poteaux de bois et doit couper les arbres, débiter leurs branches et leur tronc, le reste descend dans la rivière pour enfoncer profondément les poteaux et les faire tenir. La hauteur de l’eau ne dépassant pas un mètre cinquante, on n’a pas jugé bon de la détourner pour œuvrer plus facilement, on s’active avec des flots jusqu’à la poitrine et il faut souvent plonger pour consolider la base du pilier. Comme on débute tôt le matin, le torrent est glacial. Malgré leur jeunesse, si cela dure trop longtemps, ils seront malades. Sans autre soin que des décoctions d’herbe dans un bouillon chaud ou des ventouses, c’est la mort assurée. Le turn-over, comme on dit, risque d’être important. Leur unique chance de survivre est de passer rapidement cette étape. Mais le soir est consacré à d’interminables séances d’autocritique, indispensables compte tenu de leur vie antérieure.

Le lendemain, Sok Bonarith et Rithy tentent tant bien que mal de tenir un pilier droit tandis que l’on consolide sa base. Ils ont de l’eau jusqu’au ventre et le courant est particulièrement violent à cet endroit. Le groupe a entrepris de dresser le poteau sans s’assurer qu’ils avaient les pierres nécessaires pour le bloquer et tout le monde est parti en toute hâte en chercher des suffisamment lourdes, laissant les deux amis seuls. La voix du kamaphibal se fait soudain entendre :

– Vous n’avez pas besoin d’être deux ! Que Bô aille aider ses camarades.

Rithy proteste aussitôt, le courant est vraiment très fort !

De la rive, caché par la forêt, on lui répond :

– Voilà bien l’attitude d’un capitaliste, une de ces sangsues qui vivent sur le dos du peuple !

Comme tous les autres sont des bonzes, Rithy est devenu le représentant de la classe bourgeoise, capitaliste, féodaliste et n’est pas mieux traité qu’eux. Obéissant à son supérieur, Sok Bonarith l’abandonne.

– Je vais faire vite, dit-il, tiens bon.

Le malheureux fait ce qu’il peut. Un temps, il parvient à endiguer la force du courant, mais celui-ci semble augmenter chaque seconde. Brusquement, le tronc vacille sous sa pression. Rithy l’a saisi dans ses bras et essaie de le maintenir debout. Son pied a beaucoup de mal à ne pas déraper. Il est éclaboussé au visage, il ne peut s’essuyer, il ne voit plus rien, le flot est glacial. On s’approche. De l’aide enfin. Soudain une branche, un bâton, quelque chose de contondant qu’il n’a pas senti venir le frappe à la tempe. Sa tête semble éclater. Il lâche prise, il est emporté, le tronc le percute, il ne sait plus où est le haut où est le bas et sombre dans le torrent. Une main ! Il tente de se raccrocher à elle, mais ils se coordonnent mal et elle le déstabilise, l’enfonce dans les flots. Il ouvre la bouche pour crier et l’eau glaciale envahit ses poumons. Il lutte comme il peut. Bientôt épuisé, il abandonne. Il se sent soudain étrangement bien, serein. Il pense « j’avais raison, je ne survivrai pas à ce camp », il est content d’avoir raison, il voit de grandes lumières et il se demande si la souffrance endurée dans cette vie lui permettra d’accéder à une existence bien meilleure, loin du Cambodge. Il rit. La nuit, dans le noir, il a élaboré si souvent des plans très sophistiqués pour fuir le pays alors que c’est si simple… si simple.

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