Pol Pot a de quoi être satisfait de la rencontre des dirigeants en ce mois de mai. La victoire a aplani les différends et personne ne s’oppose plus à la ligne.
– L’évacuation des villes est un grand succès. Sans cet exode, nous aurions dû quémander, quémander et encore quémander sans jamais en voir la fin. Aujourd’hui, loin d’être des bouches à nourrir, les citadins produisent et nous avons pu refuser toute aide étrangère.
Les dirigeants approuvent, enthousiastes, le discours. En réalité, les campagnes sont exsangues à cause de la guerre et ne sont pas en mesure d’accueillir l’afflux des nouveaux arrivants qui ne seront rentables que bien plus tard. En attendant, on a sollicité discrètement la Chine et accordé au peuple ancien des accès privilégiés à la nourriture pour éviter le mécontentement.
– La destruction de l’élite féodale et capitaliste qui exploitait le pays est en cours de réalisation avec l’évacuation des villes. En bousculant nos concitoyens, en ne leur laissant que peu d’affaires à transporter, nous les avons tous ramenés au même niveau.
Quelqu’un raconte alors que de nombreux bourgeois sont partis en traînant pour toute ressource une grosse valise bourrée de riels qu’ils ont abandonnée au bout de deux jours quand ils ont enfin compris la situation. Tous s’esclaffent, Khieu Samphân ajoute :
– Les rares objets qu’ils ont pu emporter avec eux ne leur feront qu’un an ou deux. Après ils seront tous pareils. En effet, si les gens ont des biens, vous ne pouvez pas empêcher que certains en aient plus, d’autres moins. Par contre, si vous n’avez plus rien, zéro pour lui, zéro pour toi, c’est la vraie égalité, c’est le communisme !
Pol Pot aborde alors le redressement du pays.
– L’agriculture est la clé de l’édification de notre nation. Notre effort industriel consistera, dans les cinq ans à venir, à mécaniser cette agriculture.
Pol Pot insiste ensuite sur le partage des richesses.
– Nous devons définir des quotas pour la production et pour sa répartition à tous les niveaux. Une partie doit aller à la population pour sa nourriture, une autre pour la commune pour qu’elle fasse du troc avec ses voisins, le reste doit revenir à l’État pour la défense et l’organisation du pays.
Pol Pot fixe alors le rendement des rizières à trois tonnes par hectare.
– Un objectif tout à fait raisonnable, compte tenu de la richesse de notre sol.
Khieu Samphân hausse les sourcils. Il est surpris du chiffre sorti par le secrétaire général, ils n’en ont pas discuté. Il avait fait sa thèse sur l’agriculture au Cambodge. Du temps du Sangkum, on ne dépassait guère la tonne. En l’état actuel, la production ne peut qu’être plus faible : le napalm, les bombes ont rendu beaucoup de terres inutilisables ; dans les montagnes, les nouvelles plantations sont peu rentables ; le pays ne dispose pas d’industrie chimique pour fournir engrais et pesticide. Il préfère cependant se taire, Hou Yuon a été un bon professeur[7].
– Nous devons lancer une offensive économique, il faut mobiliser la nation autour de cet objectif.
Pol Pot songe à Hou Yuon. Ce dernier a raison. Dans les mêmes circonstances, le révolutionnaire offrira sa force de travail avec enthousiasme, tandis que le féodaliste sera contraint de participer aux tâches ; l’un sera libre, l’autre esclave. Il ne regrette cependant pas sa décision, son ami a eu le tort d’abandonner leurs rêves.
– Nous devons, dans tout le pays, multiplier les formations politiques, les séances d’autocritique. On ne peut pas forcer les gens à produire plus, ils ont à en comprendre la nécessité. Nous devons être pédagogiques et démocratiques.
Tout le monde applaudit à cette résolution.