Le lendemain, 2 mars, à 6 heures du matin, Radio Phnom Penh diffusait le message de Sihanouk annonçant son abdication en faveur de son père, Norodom Suramarit. L’ex-roi expliquait qu’il quittait le trône pour se lancer dans la vie politique et se consacrer à la construction du pays.
– Tant d’ennemis se dressent contre ce que j’essaie de bâtir en tant que roi, contre la justice, pour le maintien de leurs avantages et de la corruption. Les jeunes, trompés, manifestent pour soutenir le parti démocrate – ce parti qu’il a fallu à deux reprises écarter du pouvoir tant il était vénal – et M. Son Ngoc Thanh qui ne vit que des subsides américains. Pauvre peuple ! Si je reste roi, je ne te serai d’aucune utilité, mais, libéré de ma cage en or qu’est le palais, je pourrai enfin agir. Je quitte le Trône ! Mon père, Norodom Suramarit, me succédera.
Les élections prévues en avril ont été reportées en octobre. Suramarit a été couronné le 5 mars et Sihanouk est devenu Samdech Preah Upayuvareach[2] Norodom Sihanouk, mais le peuple a pris l’habitude de l’appeler Samdech Euv (Son Excellence Papa) ou simplement Samdech, ses détracteurs le Prince (avec un P majuscule) en référence à Machiavel.
Le 16, il lançait son mouvement, le Sangkum Reastr Niyum (SRN), la communauté socialiste populaire, ou plus brièvement le Sangkum. Il avait insisté auprès des personnes qui l’ont aidé à définir les statuts sur le mot « Communauté ». Il ne s’agissait en aucun cas d’un parti, mais d’un rassemblement comme celui en France du général de Gaulle. Il se pensait toujours en monarque, voulant unir plutôt que diviser, mais désormais il avait une bannière, le SRN. Il a exprimé ses idées et a laissé à Sam Sary, son bras droit, le soin d’élaborer la charte de son mouvement :
– Le Sangkum doit répondre aux aspirations du petit peuple, le vrai Cambodge.
– Son objectif est de lutter contre l’injustice, la corruption, les exactions, l’oppression, la trahison.
Le programme était suffisamment lâche pour que tous y adhèrent.
La création du Sangkum sur le plan intérieur se doublait, à l’extérieur, d’un travail diplomatique pour faire admettre la position neutraliste du Cambodge dans le futur conflit vietnamien. Sihanouk s’était rendu pour cela à la conférence de Bandung, en avril, réunissant tous les pays afro-asiatiques, nouvellement indépendants. Le président indonésien Soekarno avait invité ses homologues dans cette station d’altitude de l’île de Java. La rencontre se voulait historique, « l’esprit de Bandung » devait être la prise de conscience par les nations du tiers-monde de leur importance, la mise en place d’une volonté commune de coopération économique, sociale et culturelle pour assurer l’autonomie de ces pays.