Face à lui, Monique était blême. Le dernier mot avait fait naître un espoir fou en elle. S’il voulait la reconquérir, c’est qu’il ne désirait pas la quitter ! Elle essayait de comprendre. Elle a murmuré :
– Je ne serai plus reine, car vous ne serez plus roi.
– Je n’avais pas le choix, a redit son mari qui ne se trouvait pas d’autres excuses.
Elle l’a regardé, comme si c’était la première fois.
– Vous n’avez pas l’intention de divorcer !
– Si ! Si ! Je divorcerai ! Je ferai ce que vous voudrez… mais laissez-moi une chance, a supplié à nouveau le roi.
Pour toute réponse, elle s’est glissée sur ses genoux et a passé, câline, ses bras autour de son cou. Puis, pour lever toute ambiguïté, elle a posé ses lèvres sur les siennes. Il ne comprenait plus rien à rien, mais il avait saisi l’essentiel. La bouche fraîche de sa femme avait éteint le feu qui le brûlait. Le baiser a été long, ils se sont beaucoup amusés à titiller la langue de l’autre, ils avaient tant besoin de douceur et de rire. Quand enfin leurs visages ont pu s’écarter, elle a murmuré :
– Alors me voilà madame Norodom Sihanouk.
– Princesse Norodom Sihanouk tout de même ! a répliqué le roi, faisant mine d’être vexé.
– Quand vous m’avez dit que vous abdiquiez, j’ai cru que vous vouliez devenir bonze et c’est pour cela que vous souhaitiez divorcer !
– C’est tout le contraire, mon amour, je le fais pour pouvoir entrer dans le monde. Roi, je ne peux créer de parti politique ; prince, je serai le cœur d’un mouvement qui va rassembler le peuple tout entier et je vais emmener mon pays vers la paix, la prospérité. Je l’ai libéré de la tutelle française, cela m’oblige à le diriger. Ce serait sinon comme une mère mettant au monde un enfant et ne s’en occupant pas.
– Père et mère de la nation !
– Non, je reste le père, vous serez la mère…
Monique s’est écartée de lui, tout en ne quittant pas ses genoux.
– Mais alors pourquoi tous ces divorces ?
– Vous vous souvenez, vous m’aviez demandé de vous faire un cadeau qu’aucun roi n’avait fait à sa femme. Je me suis posé la question en pensant à mes parents et je me suis rappelé ce que ma mère aurait aimé par-dessus tout : ne pas avoir à partager son mari ! Que père soit monogame comme grand-père Sutharot ! Voilà, vous serez désormais ma seule et unique épouse. Bien que Française, vous avez accepté d’en être une parmi d’autres, bien que Cambodgien, je n’en veux qu’une… vous !
Elle s’est serrée contre lui. Tandis qu’il sentait son corps chaud contre le sien, tandis que ses seins fermes agaçaient sa poitrine, il a compris que jamais il n’aurait su l’étendue de son affection s’il n’avait pas renoncé à la royauté.
– Je vous adore ! Je vous offrirai ce que j’ai de plus cher au monde…
Vivement, elle a posé sa main contre sa bouche et lui a dit :
– Assez ! Mon prince, assez de promesses, assez d’émotion ! Ayez pitié de la pauvre Monique, son cœur ne le supporterait pas.