Février 1955.
Ce matin-là, quand il a ouvert les yeux, sa première vision a été celle de petites prunelles de jais, rieuses, au milieu d’un visage harmonieux qu’encadraient de jolies boucles noires. Elle était l’image de la vie, une douce femme qui vous aime et qui vous étonne chaque jour. Si belle, si fluette, si enfantine ! Pourtant, elle venait de mettre au monde le prince Narindrapong, quatre mois avant, son deuxième fils.
– Je souhaiterais te faire un cadeau pour tout ce bonheur. Dis-moi ce qui te ferait plaisir.
– Toi, a-t-elle répondu sans hésiter et elle a tenté de l’embrasser.
Il s’était dérobé, avait refusé son baiser.
– C’est sérieux !
Elle avait fait la moue, affirmant qu’elle avait tout ce dont elle rêvait, etc., il avait dû insister. Alors, en bonne Khmère, elle lui avait posé une énigme.
– Je désire, mon roi, ce que vous ne donnerez à aucune de vos autres épouses ou maîtresses.
Qu’offrir à une femme qu’on ne peut accorder à une autre ? La devinette n’avait sans doute pas de solution, mais cela faisait des heures qu’il cherchait.
Ce soir, en entrant dans la salle du Conseil, il y pensait toujours.
Au programme de la réunion, on devait parler de l’adhésion à l’Organisation du Traité de l’Asie du Sud-Est (OTASE). Penn Nouth, en tant que Premier ministre, avait fait un résumé de la situation.
– Face à la montée du communisme en Asie, les États-Unis ont envisagé la mise en place d’un cordon sanitaire en regroupant plusieurs pays dans ce qui serait l’équivalent de l’OTAN[1]. La Thaïlande s’y associera, bien entendu, ainsi que le Sud-Vietnam, car Ngô Dinh Diêm ne se sent pas engagé par les accords de Genève, en particulier sur la neutralité des états constituant l’ex-Indochine. Le Laos peut se retrancher derrière ces accords, mais, nous, nous avons obtenu la possibilité, en tant que nation suzeraine, d’y adhérer. Les Américains se montrent donc pressants.
Le refus a été unanime. La guerre au Viêt Nam était inéluctable et être membre de l’OTASE, c’était y participer. Cela était exclu ! Il fallait néanmoins ménager la susceptibilité américaine et on a chargé Sam Sary, très apprécié d’eux depuis son intervention à la conférence de paix, de leur expliquer la situation.