La longue vie du roi Norodom Sihanouk s’était achevée à Pékin où il était soigné. La Chine a salué la perte d’un grand ami. Elle l’a accompagné à l’aéroport avec un convoi mortuaire de plus d’une vingtaine de limousines noires, passant par les principaux axes de la capitale.
Kimsy s’est demandé si l’accueil des Cambodgiens serait à la hauteur de celui des Chinois. Le roi était aimé et détesté tout à la fois. Pour lui, il s’était rebellé contre Dap Chhuon, Lon Nol, puis il était devenu Khmer rouge, voleur et assassin. C’était un engrenage auquel il n’avait pu échapper, une terrible mécanique qui avait conduit des milliers de gens comme lui à se transformer en autant de bourreaux pour des millions de victimes. Il a pensé à Oum Savath. Il avait été son tortionnaire. Il restait son ami.
Il ne pardonnerait jamais cela à Sihanouk et il s’est demandé si ses concitoyens en feraient autant. Allaient-ils, une fois encore, oublier tous leurs malheurs pour, une fois de plus, absoudre celui qu’ils avaient tant aimé ?
Très vite, l’hommage a dépassé le rationnel. Tandis que son corps reposait au palais pour que ses sujets puissent venir se prosterner dans un ultime adieu, le visage de Sihanouk est apparu sur la lune, dis-tinc-te-ment.
La vidéo a été virale sur le net et la presse locale en a publié des photos. Impossible de le contester, c’était bien ses traits.
Une Chinoise, exaspérée de voir ses ouvrières en discuter en montrant des journaux, les avait déchirés en leur disant qu’elles avaient autres choses à faire qu’à contempler l’astre nocturne en plein jour, elle a été conduite, menottes aux poignets, en face d’un portait du roi-père pour lui demander, à genoux, pardon avant d’être expulsée vers la Chine où l’attendaient des autorités choquées par sa stupidité.
La cérémonie d’incinération était prévue trois mois plus tard en février 2013 et l’on avait organisé des transports gratuits dans tout le pays pour que les gens puissent assister aux obsèques. Kimsy n’avait aucune envie d’y aller. Avec cette disparition, le Cambodge tournait la page, regardait dorénavant vers l’avenir, c’était son désir le plus profond.
Pourtant l’Histoire restait bien présente et, lorsque l’on baissait la garde, il vous sautait au visage. Une violente déflagration a sorti Kimsy de ses réflexions. La guerre faisait toujours partie du paysage. Bien après que le dernier combattant ait déposé les armes, la mort frappait, elle le ferait longtemps encore. Des mines, enterrées par tous les belligérants dans tout le pays, des mines oubliées, mais, pour des décennies, efficaces ! Son fils et son petit-fils ont été grièvement blessés, le premier décéderait au bout de quelques jours. Pour le second, il restait une chance, une opération pratiquée par un médecin, un Cambodgien qui venait de rentrer d’Amérique. Sœun Kimsy n’a pas hésité. Il a raflé tous les bijoux qu’il détenait encore et il est parti avec les nombreux paysans qui souhaitaient suivre les obsèques à Phnom Penh chercher de l’argent frais pour payer l’intervention chirurgicale.