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XVIII - Page 5 sur 16 - Les 9 vies de Norodom Sihanouk

XVIII

Comme prévu, celui-ci était enchanté de faire visiter sa capitale à la jeune reporter. Il était avec elle tout charme dehors, plus séducteur que jamais.

– Avant l’indépendance, mis à part quelques rues du quartier résidentiel, Phnom Penh n’était rien d’autre qu’une grosse bourgade, pas même une ville. Ici, l’eau régnait en maître, les crues du Mékong inondant de nombreuses zones, car la cité est en partie en dessous du niveau de la mer. J’ai lancé de grands travaux d’assèchement des bengs[2], rehaussé là où c’était nécessaire avec les sables d’alluvions.

L’eau était toujours présente, elle était seulement en partie domptée apportant fraîcheur et douceur de vivre. Pour en accentuer l’effet, Sihanouk avait multiplié les arbres dans les avenues, les vastes parterres de gazon ornés de motifs floraux, des espaces de promenades. Il fallait ajouter à cela l’art architectural khmer, que certains trouvent surchargé, mais qui est en réalité tout en envolées, en pointes, en dentelles avec son bestiaire fabuleux, naja, lions, oiseaux Garuda. Il y avait de la légèreté dans l’air, les marchés étaient riches, les rues grouillantes de vie.

C’était une lutte incessante pour l’hygiène et la propreté contre une population indocile, c’était aussi une bataille de tous les jours pour faire de sa capitale une ville moderne, occidentale, mais c’était incontestablement une réussite. Phnom Penh était devenue cette cité-jardin, où l’occident épousait l’orient alors que dans tant d’autres ex-colonies, les deux mondes se côtoyaient sans se rencontrer.

Ses articles parus, Elsa a commencé à s’intéresser au système politique instauré par Sihanouk. Son mouvement (pas son parti !) faisait preuve d’une vitalité surprenante. Dans chaque ville ou gros village, un élégant pavillon de style « pagode », très aéré, exposait les réalisations du Sangkum : ponts, routes, usines agricoles, centres de formation, dispensaires. Deux fois par an, le congrès rassemblait plusieurs centaines d’individus et leur permettait de débattre de tout.

Qui était membre du Sangkum ? Combien étaient-ils ? Difficile de répondre, car il n’y avait ni acte de candidature, ni cérémonie d’adhésion, ni carte, ni réunion autre que le congrès[3]. Lors de la tenue de ce dernier, les maires choisissaient les personnes de leur commune susceptibles de la représenter, les sous-préfets triaient dans cette liste puis c’était le tour du gouverneur de la province. Aussi pouvait-on considérer en s’appuyant sur ce schéma que les cadres du Sangkum se confondaient avec l’administration et les militants avec la population. Dans les pays communistes, le parti phagocytait l’appareil d’État, ici, c’était l’inverse qui s’était produit.

Elsa a posé la question à brûle-pourpoint à Sihanouk[4].

– Vous évoquez toujours le Sangkum. Mais, ce parti n’existe pas !

– Comment cela « n’existe pas » ? Vous pouvez visiter partout ses œuvres. Vous avez assisté à un congrès. Était-ce des fantômes ?

– La plupart des réalisations attribuées au Sangkum ont, en réalité, été effectuées par l’État. Quant aux délégués, ils sont désignés par les maires sans réunion préalable. À sa tête, on trouve tous les caciques du pouvoir. Votre mouvement, c’est un mythe !

Ils étaient amis et elle était bel et bien indignée. Sihanouk n’avait pas envie de la tromper. Il n’était pas un dictateur, il y avait une vraie démocratie dans son pays, il a répondu avec beaucoup de sincérité :

– Un mythe ? Peut-être… sans doute. C’est en quelque sorte un mouvement religieux, chimérique… Je cherche à faire l’unité nationale, à inculquer au peuple l’esprit de solidarité. Cela n’a pas la même symbolique si les autorités agissent ou si ce sont les citoyens. Quand l’administration mobilise les individus pour faire une réalisation. À qui revient le mérite ? À l’État ou à la communauté ?

Désormais, il était en mesure de défendre SA démocratie.

– Deux fois par an, il y a le congrès. Les délégués ont été choisis par les maires – après tout, n’est-ce pas eux les plus à même de le faire – parce qu’ils avaient quelque chose à dire, parce qu’ils représentent leur commune, leur village. Ce sont trois jours de débats, sérieux, durs, exigeants.

Il a fait une pause, guettant son interlocutrice. Elsa était séduite. L’image du toréador s’arrêtant devant le taureau avant l’estocade finale s’est imposée à lui.

– Une fois, un pauvre malheureux m’interpelle, en plein congrès ! Pour discuter de notre éventuelle participation à la guerre de monsieur Diêm ? Pour parler de la construction d’une usine dans sa province ? Non ! Son vécu est autre. Il a été renversé par une voiture qui tournait et ne l’avait pas vu. Le conducteur est visiblement responsable, mais il est riche ! Impossible de trouver un témoin. Vous me direz, c’est donc parole contre parole, je répondrai que, dans un tribunal cambodgien, c’est parole contre bakchich. Bref, notre malheureux compatriote a perdu son procès. Son récit plein de dignité émeut le congrès et nous décidons que, désormais, en cas d’accident avec un véhicule, le propriétaire de l’auto serait automatiquement reconnu comme coupable.

Aux yeux stupéfaits de la Française, Sihanouk s’est rendu compte que l’épée avait ripé et que le taureau s’apprêtait à l’encorner. Ce déni de justice, au nom de la justice sociale, la choquait. Terriblement. Comment lui expliquer ? Comment rattraper le coup ?

– La décision peut surprendre, mais il faut savoir comment fonctionnent nos tribunaux. Sans cette loi, les riches ont toujours raison, les malheureux toujours tort ! Est-ce plus équitable ?[5].

Le Prince avait une conception très singulière du droit ! En avance sur son temps ou en retard de quelques siècles. Le moral doit primer sur le légal. Et quand vous êtes le roi (ou le chef d’État), c’est vous qui définissez ce qui est juste !

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