En cette année 1966, Sihanouk a découvert qu’il avait des amis, mais plus de bons conseillers.
D’un côté, il y avait La Forêt Enchantée, une histoire qui puisait ses sources dans le songe d’une nuit d’été de Shakespeare, mais où la magie des bois sortait renforcée par celle des pierres d’Angkor et où les fées avaient bien des ressemblances avec les apsaras. Le tournage, réalisé sur les lieux mêmes de l’action avait été une formidable ode à l’amitié, Monique, sa fille Bopha Devi, Tioulong et lui-même donnaient la réplique à des acteurs professionnels et les longues soirées autour d’un feu, dans le décor d’anciennes cités khmères avaient prolongé celle en ouverture du film.
De l’autre, il y avait ces élections. Au mois de juin, quand il a fallu faire les listes des candidats du Sangkum, il avait rencontré un énorme problème. De nombreux députés l’avaient déçu, s’étaient montrés prévaricateurs, loin du peuple, mais proches… de Changkar Mom. Son entourage le pressait de les présenter à nouveau, sans vouloir comprendre que c’était approuver leurs trafics. Passe encore qu’il ne sévisse pas, les reproposer allait au-delà de ce que l’affection pouvait exiger. Dans le même temps, il était trop sensible pour se disputer avec les siens.
Finalement, la solution s’était imposée. Simple, brillante !
Il suffisait de soumettre plusieurs candidatures du Sangkum par poste. Cela résolvait toutes les contradictions puisqu’il pouvait faire plaisir à son entourage en nommant qui ils souhaitaient et le peuple, lui-même, sanctionnerait les voleurs.
Résultat : en septembre, la droite a raflé la quasi-totalité des sièges. La population s’était laissée berner, l’argent de la prévarication avait servi à assurer la réélection du député voyou. Sihanouk a découvert alors que l’Assemblée nationale avait un pouvoir énorme puisque si le chef de l’État désignait bien le président du Conseil des ministres, son cabinet devait avoir l’aval des deux tiers des parlementaires.
Il a donc eu un gouvernement de droite conduit par Lon Nol, sans aucun partisan de Sihanouk, encore moins de personnalités de gauche, avec pour Vice-Premier ministre Sisowath Sirik Matak, un de ses cousins, un proaméricain convaincu. Lon Nol avait été en partie élevé par le père de celui-ci et les deux hommes avaient beaucoup d’affection et de respect l’un pour l’autre. Son choix était naturel et ne visait pas le Prince, sauf que contrairement au vieux général, Sirik Matak n’avait aucune estime particulière pour le chef de l’État, étant lui-même de sang royal.
Sihanouk tenait toujours le Sangkum, ainsi que le vaste maillage de gouverneurs, de maires et de fonctionnaires qui animait le pays. Le prochain congrès rebattrait les cartes, ses décisions étant souveraines, l’exécutif et le législatif contraints de s’y soumettre, mais il devait attendre son organisation. Dans six mois ! Six mois avant de récupérer la main.