Les Khmers vietminhs, bien qu’ils aient condamné, avant le résultat, une parodie de scrutin, décidèrent qu’il fallait une action d’éclat pour fêter le retour de Son Ngoc Thanh. Ils avaient réussi à infiltrer dans la résidence du commissaire de la République, de Raymond, le représentant de la France au Cambodge, au cœur même de la puissance coloniale, une de leur agent. Plus précisément dans son lit. C’était un gros sacrifice de brûler une si belle taupe, mais l’impact politique en valait la peine surtout après les victoires françaises dans le delta du Tonkin.
Ce jour-là, un peu après midi, l’espionne vint rejoindre son amant au premier étage de la villa. Personne ne songea à fouiller le sac à main de la congaï[1]. Quand elle se glissa dans le lit, elle cacha sous l’oreiller l’arme qu’elle avait apportée, un simple couteau de cuisine. Était-ce par nécessité technique, par compassion envers celui qui allait mourir, pour salir la mémoire de sa victime qui serait trouvée, le sexe humide de sperme, ou bien pour un ultime plaisir, elle le laissa la dévorer de baisers, la pénétrer, s’épandre en elle. Quand il ferma les yeux, épuisé par la jouissance, les efforts et la chaleur, elle frappa. Il hurla, mais cela se perdit dans l’immense pièce qu’était la chambre, au premier étage de la résidence. Ayant repoussé le corps, elle se rhabilla rapidement puis ouvrit la porte à un complice, un serviteur vietnamien travaillant depuis quelque temps déjà dans le palais, celui-là même qui, connaissant bien les habitudes et les goûts de son maître, avait permis leur rencontre. Ils forcèrent bureau et armoires et s’emparèrent de documents de la plus haute importance, notamment les menus des repas préparés à l’occasion de réceptions organisées par le Commissaire de la République – aucun des deux conjurés ne savait lire – que la belle emporta. Le domestique fut très vite démasqué et deux jours plus tard, on put récupérer tous les papiers, recopiés en huit exemplaires. Mais l’assassin échappa à tout châtiment au grand soulagement des services de renseignements français qui ne souhaitaient guère que le dangereux et audacieux terroriste vietnamien, qui avait osé frapper la France à la tête devienne… une femme.