Sanglé dans son uniforme blanc mettant en valeur ses épaulettes d’officier, le roi Jean était tout sourire. Le proviseur du lycée Chasseloup, qui le surveillait du coin de l’œil, admirait cet homme aux cheveux grisonnants, au nez aquilin, sa façon vive de se lever, comme s’il se jetait sur une proie, à l’arrivée d’un étudiant primé pour lui donner son énorme pile de livres que reliait un ruban tricolore. Quelques mots de félicitations, une plaisanterie. Lui, le héros, qui avait combattu le nazisme et qui luttait désormais contre le communisme, et le jeune vietnamien, si brillant, mais qui avait encore tant à prouver, souriaient de concert. Une photo pour l’Histoire. C’était la remise des prix, la cérémonie qui annonçait la fin des classes.
Puis le directeur de l’établissement fit son discours, une allocution traditionnelle : félicitations pour le travail accompli par ses élèves et son équipe, pour les résultats toujours excellents, vœux pour un repos mérité.
– Oubliez pour un mois votre scolarité, faites le vide en vous, découvrez d’autres joies. Les vacances sont une rupture, doivent être une rupture pour revenir en septembre en pleine forme pour une année qui se révélera encore plus exigeante que la précédente.
Jean se demandait, en l’écoutant, à quand remontait sa dernière pause, quand avait-il pu s’interroger sur sa vie, puis tristement, il pensa à son fils Bernard, mort à Ninh Binh, sous ses ordres, pour défendre ce pays. Lui était enfin en vacances. Des vacances éternelles. Il se leva et commença son discours aux lycéens.
– Vous êtes ainsi, mes chers amis, les grands bénéficiaires de cet ordre humain qu’est la civilisation […]
Très vite, il opposa le sort de l’élite vietnamienne, dont les enfants avaient droit aux études, au peuple qui subissait la guérilla.
– […] Méditez à cet égard la parole d’un grand écrivain catholique que vous ne connaissez peut-être pas, Léon Bloy : « Tous les sophismes du monde ne changeront rien à ce mystère que la joie du riche a pour substance la douleur du pauvre ».
Le Viêt Nam, ajouta-t-il, était en guerre et les privilégiés l’étaient encore plus parce qu’ils poursuivaient leur formation laissant à d’autres les combats.
– C’est leur sang à tous qui irrigue cette oasis de paix et de liberté où vous vivez à l’aise […] C’est là une constatation, non un reproche. Il est normal que vous mettiez du temps à vous instruire, car « il est long – Goethe l’a dit – d’apprendre à faire la moindre chose de la façon la plus grande ». Vous avez le droit et le devoir de préparer votre futur lointain dans le cadre de ce que sera demain votre pays.
À condition qu’il y ait un avenir.
Le ton changea.
– Quand un pays est assis à l’ombre de la mort, il faut que sa jeunesse – comme cette fleur merveilleuse qui éclot la nuit du Têt – il faut que sa jeunesse sache aussitôt fleurir et porter son fruit afin que renaisse la lumière.
Puis il leur définit le choix qui s’offrait à eux, l’interdépendance au sein de l’Union française ou être un satellite de la Chine. On ne peut être absolument souverain.
– Il faut choisir. C’est la guerre. Soyez des hommes ! c’est-à-dire : si vous êtes communistes, rejoignez le Viêt Minh, il y a là-bas des types bien qui se battent pour une cause mauvaise ; mais si vous êtes des patriotes, combattez pour votre patrie, car cette guerre est la vôtre.