Cette Assemblée, sans être constituante, adopterait néanmoins quelques modifications secondaires de la Constitution qui rendrait tout son pouvoir au monarque. Pour assurer sa victoire, il entreprit de parcourir le pays, menant campagne pour défendre l’indépendance qu’il avait octroyée à la nation. Il ne pouvait prendre parti, mais il se devait d’expliquer le nouveau traité avec la France et dénoncer ceux qui s’y opposaient. Jamais il n’avait à ce point pris position lors d’une confrontation électorale.
– En tant que roi, je vous ai apporté la Constitution, la démocratie. Moi, je suis démocrate, ceux qui disent l’être, que vous ont-ils apporté ? Une Assemblée corrompue !
– En tant que roi, je vous ai apporté l’indépendance. Moi je suis nationaliste, ceux qui disent l’être, qu’ont-ils fait pour le Cambodge ? Ils soutiennent les maquis thaïlandais et vietminhs.
– Ce que nous avons obtenu de souveraineté nous permettra de bâtir des écoles, de former nos jeunes pour devenir les futurs cadres dont nous avons besoin. Un lycée, une université, pas un casino.
– On vous affirme que notre indépendance est fictive, mais ce n’est pas ce que pensent trente-cinq pays, dont, excusez les références, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Italie… qui ont établi des relations diplomatiques avec nous ! Oui, il y a une ambassade du Cambodge, notre État fantoche, à Washington !
– Parlons des Khmers vietminhs, plus vietminhs que khmers d’ailleurs ! Ils ne veulent pas vous ôter le carcan de la colonisation, je vous l’ai ôté, ils veulent vous mettre celui du communisme. Les régions « libérées » sont soumises au pillage en faveur de M. Hô Chi Minh !
Il essaya même de faire revenir Son Ngoc Thanh. Celui-ci n’avait pas été au bagne, car après intervention de Suramarit et Kossamak, sa condamnation s’était limitée à une relégation en France, à Montpellier. Il dépérissait loin de chez lui. Sihanouk imagina alors pouvoir obtenir de lui contre la fin de son exil une approbation de l’idée d’indépendance dans l’Union. La France refusa.
Malgré cette déconvenue, Sihanouk attendait sereinement la moisson. Il avait une nouvelle épouse, une jeune laotienne de 15 ans, Mam Manivan Phanivong, une beauté asiatique, une fleur de nénuphar, fleur qu’elle portait parfois dans ses cheveux, comme une mise en abyme délicieuse. Ce choix, celui d’une étrangère, avait fait grincer des dents dans sa famille et même dans tout Phnom Penh. Peu importe ! Il emmenait sa femme partout et partout, elle était acclamée et adulée par le petit peuple, parce qu’elle était toute de grâce et de perfection et qu’elle était à ses côtés.
Une question cependant le taraudait : que vaudrait « son » indépendance dans le cadre d’une Union indochinoise si la France était amenée à quitter l’Indochine ?
L’invulnérabilité du corps expéditionnaire n’était plus qu’un souvenir et celui-ci évitait tout contact avec l’ennemi. Le Viêt Minh se renforçait chaque jour et l’on craignait un déferlement dans le delta du Tonkin. Il s’était solidement implanté au Laos. Seul, le Cambodge semblait en partie épargné.
Juste avant la tenue des élections, la situation de la France en Indochine s’améliora, confirmant qu’il avait fait le bon choix.