Tadeusz Brzezinski était diplomate polonais dans les années trente, les aléas du XXe siècle ont fait que son fils, Zbigniew Brzezinski, est le conseiller à la Sécurité nationale de la maison blanche. De par ses origines polonaises et tchèques, il voit le monde par le prisme d’un affrontement Est/Ouest et il a fait de la cause des droits de l’Homme une arme contre le bloc soviétique. Puisque les pays frères se disputent le leadership du communisme et que les ennemis de nos ennemis sont nos amis, il prêche pour une alliance USA-Chine contre l’ours russe. En ce mois de janvier, il décrit le conflit khméro-vietnamien comme une guerre « par procuration » entre la Chine et l’URSS, niant la réalité du terrain, c’est-à-dire le subtil équilibre que Péking tente de maintenir entre les deux nations.
Début février, le Politburo vietnamien s’est réuni. Le Duan, le secrétaire général du parti, influencé par l’analyse de Brzezinski, constate que la visite de Mme Zhou Enlai a précédé une recrudescence des attaques khmères à la frontière et que Pékin utilise le Cambodge comme une arme pointée sur leur flanc, une forteresse avancée, à quatre-vingts kilomètres d’Hô Chi Minh-Ville[4].
L’option d’une invasion se dessine, la réplique aussi. Les nombreux Cambodgiens qui se sont réfugiés au Viêt Nam vont pouvoir témoigner des atrocités qu’ils ont vécues pour rendre le régime de Phnom Penh si odieux qu’une intervention pour y mettre un terme ne serait pas condamnable. On y puisera aussi des volontaires pour former une armée de libération. Désormais sur radio Hanoï, un bonze promet de refaire un « Cambodge libre, heureux et prospère comme au temps de Sihanouk[5] ».
Pour soutenir tous ses efforts militaires, le Nord-Vietnam sollicite les pays de l’Est et rejoint le COMECOM, la condition posée par les Russes pour accentuer son aide financière.
Enfin, comme au Cambodge, on craint une cinquième colonne, mais ici, elle est chinoise. Il y a une importante communauté au Sud-Vietnam, plus d’un million de personnes. Il faut les neutraliser et, pour cela, frapper leur économie en nationalisant : dans les mois qui suivent, plus de cent mille réfugiés, des Sino-Vietnamiens, traverseront la frontière au Nord et plus de deux cent cinquante mille tenteront de fuir par la mer[6]. La rupture avec la Chine est actée.
L’analyse un peu simpliste de Brzezinski est devenue juste : les deux camps sont maintenant bien distincts et si Chine et URSS n’osent se mesurer militairement, Cambodge et Viêt Nam sont prêts.
Pol Pot exulte : la guerre est inéluctable et l’alliance, de facto, entre Pékin et Washington ouvre de nouvelles perspectives.
– Nous avons infligé aux Vietnamiens une lourde défaite, mais ils ne renoncent pas. Ils sont allés baiser les pieds de l’URSS et ont conclu avec elle une coalition militaire. Ils ont internationalisé le conflit pour pouvoir s’appuyer sur les troupes russes et celles du Pacte de Varsovie. Si le Cambodge tombe, ils ne s’arrêteront pas là, c’est tout le Sud-Est asiatique qui est menacé. Nous n’accepterons jamais une telle conquête, ni les pays de l’ASEAN, ni même ceux de l’OTAN. M. Brzezinski a remarquablement mis en lumière ce danger. La guerre est désormais imminente, mais nous ne sommes plus isolés.