En janvier, Sihanouk et Monique sont invités à aller visiter un grand réservoir d’eau dans la province de Kompong Speu. C’est la première fois qu’ils peuvent quitter le palais royal depuis de longs mois et c’est toujours Khieu Samphân, malgré ses responsabilités, qui leur sert de guide. Pourquoi ce voyage ? Le Prince se dit que la situation est grave et que le gouvernement le sort du placard pour un appel à l’unité nationale. Sur place, il n’y a pas de photographe ; le bassin n’a rien d’exceptionnel ; il n’y a nulle trace de rizières ; quant au bétail, il se limite à quelques bœufs broutant ici et là. Interloqué, bien qu’heureux de ce changement d’air, Sihanouk félicite son hôte qui est désormais pressé de retourner à Phnom Penh. Une fois dans la capitale, on ne rentre pas directement, mais on fait un tour sur l’ex-boulevard de l’URSS. La voiture ralentit en face d’un grand bâtiment qui ressemblait à une ambassade puis repart. L’excursion est terminée et laisse Sihanouk perplexe. Est-ce le signe d’une détente ? Pourquoi avoir choisi une réalisation aussi lamentable ? Le régime en est-il au point d’en être fier ? Pourquoi ce passage au pas devant un immeuble ? Un instant, il a regardé les fenêtres, cherchant à deviner si un Lee Oswald n’était pas caché derrière les rideaux.
En réalité, c’est la veuve de Zhou Enlai qui s’y trouvait.
Les Chinois veulent éviter la guerre entre les deux états. La vieille dame a été mandatée, mi-janvier, pour demander aux Khmers d’œuvrer en ce sens. Connaissant leur susceptibilité, elle s’est faite très diplomate, veillant à ne pas mettre sur le même pied les deux frères ennemis, elle les encourage à ouvrir un dialogue, mais précise :
– Nous sommes d’accord avec le camarade Pol Pot pour dire que ce ne sera pas facile. Avec Hanoï, la plus grande vigilance s’impose.
Elle les assure de l’amitié sans faille de Pékin en toute circonstance et pour le prouver, elle leur apporte une aide matérielle et militaire considérable et de nombreux conseillers techniques pour leur fonctionnement ou la formation des futurs utilisateurs[3].
Puis, elle aborde le deuxième aspect de sa mission : le nouveau visage à donner à la révolution cambodgienne. Lors de l’agression vietnamienne de décembre, les Chinois ont été choqués par le peu de réactions des autres états, aucune réelle condamnation. À cause de l’image détestable du régime de Phnom Penh. On doit impérativement l’améliorer.
Le pays doit sortir de son isolement. Il faut inviter et recevoir des délégations venant du monde entier. Beaucoup d’ambassades sont fermées. Pourquoi ? Que sont devenues des personnalités appréciées sur le plan international comme Hou Yuon, Hu Nim, Chau Seng ? Quand elle apprend qu’ils sont tous morts, elle s’inquiète pour Sihanouk. D’où ce petit subterfuge pour lui permettre de l’apercevoir sans donner à l’entrevu(e) une importance dont ce dernier aurait pu se prévaloir.
Le lendemain de sa visite, les villages frontaliers de Tay Ninh, Chau Doc, Hong Ngu sont pilonnés par l’artillerie lourde cambodgienne. Elle a visiblement été trop diplomate, les dirigeants khmers rouges ont interprété ses propos comme un feu vert pour poursuivre leurs agressions contre le Viêt Nam.