Le 31 janvier, Deng Xiaoping, de passage aux États-Unis les invite à dîner à Blair House, là où il réside. Il est au courant de la situation, des maladresses d’Ieng Sary aux refus coordonnées des Américains et des Français, ses alliés dans ce conflit. Il offre à Sihanouk de redevenir chef de l’État du Kampuchéa et de prendre la tête du mouvement de libération.
Refus poli du Prince. L’autre insiste.
– Le gouvernement du Kampuchéa a commis de graves fautes à votre encontre. Nous le leur avons dit, mais c’est le seul que vous ayez. Les Khmers rouges vous promettent de s’amender, de pratiquer une large politique d’union nationale.
– Les tigres ne peuvent se changer en chatons ! Vous souhaitez un front, mais ils ont liquidé tous les membres non communistes de l’ancien FUNK. Les rares rescapés ne voudront jamais se battre à leur côté. Vous dites que c’est le seul gouvernement que nous ayons, voilà pourquoi, je les ai défendus à l’ONU. Mais j’ai été pour cela traité de complice, d’assassin ! Accepter d’aider les Khmers rouges, ce serait insulter la mémoire des milliers de compatriotes innocents, massacrés par eux.
Deng Xiaoping réfléchit un long moment. Pour l’instant, Sihanouk ne changera pas d’avis. Il sourit à son hôte.
– Je comprends vos sentiments et je les respecte. Parlons d’autre chose. J’ai appris que vous vouliez vivre en France. Pourtant vous aviez dit un jour que la Chine était votre deuxième patrie et nous vous avons construit à Pékin une grande villa. Venez chez nous !
– Hélas, je crains qu’une fois à Pékin, je doive, pour prix de mon séjour, écouter vos plaidoiries et repousser quotidiennement vos propositions de rapprochement avec les Khmers rouges.
Deng Xiaoping rit.
– Je vous promets de ne jamais soulever cette question. Par ailleurs, vous pourrez circuler librement à l’intérieur ET à l’extérieur de la Chine, quitter notre pays quand vous le souhaiterez, donner des interviews à qui vous voulez.
Comment refuser une telle offre aux antipodes de l’asile mesquin des Américains ou des Français ? Sihanouk regarde Monique que le retour à Pékin rassure sur le sort de ses enfants qui y sont toujours et il acquiesce. Le Chinois s’en réjouit. Bien sûr, il n’a pas l’intention de tenir sa promesse, sa stratégie est bien de refaire l’union entre toutes les forces khmères, mais il a le temps.
Les Vietnamiens ont mis fin à un long cauchemar au Cambodge et ils ont été très bien accueillis. Ceci étant, cela reste une armée d’invasion qui va vivre sur les ressources du pays et, très vite, deviendra impopulaire. Ce jour-là, Deng Xiaoping en est certain, Sihanouk évoquera de lui-même la question d’une alliance avec les Khmers rouges.