Le lendemain, il s’envole avec Monique vers les États-Unis via Tokyo. Direction la tribune des Nations unies où il va défendre la cause de « ces gens – là ». Il découvre alors l’étendue du désastre. Les journalistes n’ont plus qu’une question en tête et ils la posent sans arrêt, certains diplomatiquement, mais la plupart de manière très agressive : comment, ayant reconnu leurs crimes, peut-il demander que l’ONU intervienne pour rétablir l’autorité des Khmers rouges ?
Cette interrogation, c’est aussi celle des démocraties qui depuis un an ou deux ont mené une violente campagne contre ce gouvernement au nom de l’article I de la Charte des Nations unies qui parle de développer et d’encourager le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, campagne qui, depuis plus d’un an, a été soutenue, puis amplifiée par la presse communiste. Il leur est dès lors difficile de condamner l’invasion vietnamienne[10], d’exiger le rétablissement d’un régime génocidaire, sans se mettre en porte à faux vis-à-vis de leur opinion publique.
Seule, la France a clairement tranché la question en choisissant le droit des nations au détriment de ceux de l’homme : « L’idée selon laquelle l’existence d’un régime détestable pourrait donner un fondement à une intervention extérieure et légitimer son renversement par la force est extrêmement dangereuse, car elle aboutirait à remettre en cause l’existence même d’un ordre international en faisant dépendre du jugement de ses voisins le maintien de tout régime ».
Aussi lorsque Sihanouk monte à la tribune de l’ONU pour prononcer son discours, tous suivent attentivement chacune de ses paroles. La petite silhouette ronde interpelle le monde entier :
– Mon peuple est victime d’une agression caractérisée de très grande envergure de la part de la République Socialiste du Viêt Nam, un pays qui se disait « notre frère »…
Le ton est donné. Suit un long développement sur les Yuons, avaleurs de terre khmère, sur le soutien apporté par l’Union soviétique et le bloc de l’Est. Doit-on faire l’impasse sur les problèmes de droits de l’homme au Cambodge ? Il répond : « right or wrong, it’s my country ! »
Son intervention est déterminante. Le représentant anglais déclare aussitôt : « celui, qui ayant souffert dans sa chair du gouvernement de son pays, le défend pourtant au nom de la patrie, voilà qui renforce, au lieu de la réduire, la puissance de ses arguments et la crédibilité de sa position » et les états occidentaux peuvent moralement voter en faveur des bourreaux du Kampuchéa démocratique.
Par treize voix contre deux – aucun membre du groupe Chine-USA n’a fait défection –, le Conseil de sécurité de l’ONU a condamné l’agression vietnamienne.
Déjà la Chine se met à rêver à une alliance de tous les Khmers. Ieng Sary, venu à Pékin, pour solliciter de l’aide, fait profil bas. S’il faut ressusciter le FUNK[11], on le fera ! Pour montrer sa bonne volonté, il envoie un télégramme de félicitations et de remerciements à Sihanouk, le nommant chef par intérim de la délégation du Kampuchéa démocratique à l’Assemblée générale des Nations unies.