Le 18 janvier 1968 : déclenchement des hostilités. Le début de l’insurrection générale du peuple cambodgien.
Le pays avait été partagé en zones de guérilla, chacune subdivisée en bases d’appuis, bases de guérillas et bases opérationnelles. Ces dernières étaient le plus au contact avec les villes et les communes, ce seraient de là que les attaques seraient menées, les autres serviraient au repli. On a partout désigné des responsables militaires.
Les premiers coups de feu ont été tirés non contre un poste isolé de l’armée au sud de Battambang, mais depuis celui-ci. Kou Roun avait fait son travail et les communistes étaient attendus. Au premier tir, les assaillants se sont envolés comme une nuée de moineaux. On les a pris en chasse. On a fini par les rattraper et par en tuer deux. Quand les soldats ont regagné leur base, brandissant joyeusement les têtes, ils ont découvert que cette dernière avait été visitée. Un fuyard avait eu l’idée de se réfugier chez ses poursuivants. Il devait être seul, car seuls deux fusils et quelques cartouches avaient disparu.
C’était leur premier fait d’armes et l’une des rares nouvelles positives – ils avaient réussi à voler des armes ! – de ce mois de janvier. Ici ou là, d’autres postes isolés avaient été attaqués, sans succès. L’insurrection générale qui devait embraser le pays avait fait pschitt.
Le 30 janvier allait profondément modifier l’appréciation que Sihanouk avait de cette tentative avortée des Khmers rouges. Ce jour-là, surgis de nulle part, 160 000 soldats du FNL et 160 000 Nord-Vietnamiens se sont élancés à la conquête d’une centaine de villes du Sud-Vietnam, et non des moindres, Saïgon, Cholon, Gia Dinh, Hué, ainsi que des bases américaines dont celle de Khé San. C’était l’offensive du Têt[4] !
Pour les Américains qui claironnaient partout que le FNL était à bout de souffle, c’était un choc. Pour les Khmers aussi ! Comment ne pas voir, dans les insurrections simultanées au Cambodge et au Viêt Nam, une opération unique de grande envergure ? Le compromis passé avec Le Duc Tho venait d’être déchiré ! L’ampleur de l’attaque tant au Viêt Nam qu’au Cambodge montrait que le conflit était entré dans sa phase finale. Les rouges se rassemblaient, frappaient partout, en même temps !
Sihanouk a alors compris que sa survie dans une Indochine aux mains de Hanoï était une illusion. Il serait traité en ennemi à l’instar des Sud-Vietnamiens. Les communistes préféreraient toujours des communistes au pouvoir dans leurs pays satellites. Entre l’Amérique qui allait perdre la guerre et un Viêt Nam qui n’était pas du tout reconnaissant, il ne savait plus comment s’en sortir.
Il a rappelé Lon Nol.
– Je vais avoir besoin de vous. Son Sann piétine avec son cabinet, Penn Nouth sera le prochain Premier ministre. Nous sommes en guerre et ce sera le gouvernement de la dernière chance, les députés ne peuvent s’y opposer. Vous redevenez le commandement en chef de l’armée.
Enfin ! se dit Lon Nol.