Le 16 mars, une manifestation de lycéens et d’étudiants avait lieu devant le Parlement. On y a distribué des tracts dénonçant, pour la première fois, le chef de l’État. On l’accusait d’avoir vendu son pays aux Vietcongs, on reprochait à Monique et aux siens les énormes bénéfices tirés des livraisons d’armes, de médicaments et de riz aux troupes d’occupation. À l’intérieur, les députés entamaient un débat sur les marches antivietnamiennes. Les sihanoukistes se taisaient, gênés, les autres se déchaînaient. Sim Var et Douc Rasy se sont lancés dans de belles envolées lyriques « Nous voulons vivre dans l’honneur, sinon nous préférons mourir ! »
Le 17 mars, Oum Manorine, le beau-frère de Sihanouk, et des personnalités proches du Prince ont été arrêtés pour tentative de coup d’État. La reine s’est adressée à la population via la radio pour appeler chacun à la raison, à l’apaisement des tensions. Semblant reprendre la demande de Sihanouk, elle a dit qu’il fallait normaliser nos relations avec le Viêt Nam. Mais cela voulait-il dire revenir en arrière ou au contraire exiger le départ de leurs troupes ? Avait-elle parlé pour soutenir le Prince ou ses opposants ? Qui aurait pu le dire ? Pas elle, en tout cas. Elle était en colère contre lui, mais il restait le roi et elle avait terminé en adjurant chacun de la considérer comme la mère de la nation et son fils comme un père.
Le 18, les aéroports de Pochentong et de Sihanoukville ont été fermés et l’armée s’est installée aux points stratégiques dans la capitale ainsi qu’aux abords du Parlement. À l’ouverture de la séance, In Tam a annoncé le changement d’ordre du jour à la demande du Gouvernement qui souhaitait que soit proclamé l’état d’urgence et a invité les membres du Conseil du Royaume présents à se joindre aux députés.
Il était 11 heures. Trinh Hoanh est monté à la tribune. Son cœur battait à cent à l’heure, le texte qu’il allait lire n’était pas de lui, la requête qu’il allait formuler, il ne l’avait pas conçue, il n’était qu’une voix. Il désirait discuter le cas de Norodom Sihanouk. Développant son propos, nouveau Fouquier-Tinville, il a critiqué quinze années de gouvernance du Sangkum. L’assemblée le laissait parler, muette. Même ceux qui partageaient ses remarques étaient épouvantés. Chaque mot prononcé aurait mérité à son auteur la peine de mort quelques jours auparavant, mais l’orateur continuait, imperturbable.
– La politique économique du Sangkum, un échec ! Sous couvert de nationalisation, on a assisté à un pillage. La Société d’Import-Export, le Magasin d’État sont tombés entre les mains de la cour siégeant à Changkar Mom.
– La morale ? Les scandales se sont multipliés. Souvenez-vous de l’affaire de la brasserie de Sihanoukville, de celle du lait condensé, de la vente de riz aux Vietcongs. Sans parler de l’ouverture des casinos.
– La neutralité ? On accueille les troupes d’Hanoï. Ils sont tranquillement installés sur notre territoire, gérant nos paysans comme s’ils étaient en pays conquis. Cela provoque des réactions violentes de la part des États-Unis et nos villages sont bombardés.
Tout y est passé. Le coût exorbitant du Festival du Film de Phnom Penh afin de permettre à Samdech d’avoir un prix, les fêtes pharaoniques organisées par Monique à Changkar Mom.
Tous les orateurs, qui se succédaient, ont dressé le même constat horrifié de quinze années de sihanoukisme. C’était une véritable séance cathartique et, à 13 heures, la totalité des parlementaires, quatre-vingt-deux, a voté la défiance à l’encontre de Sihanouk, désignant Cheng Heng pour le remplacer.
Dans l’après-midi, Lon Nol s’est adressé à la nation par le truchement de la radio pour annoncer qu’il appuyait la décision.