À Phnom Penh, passée l’euphorie de la victoire, force était de constater que leur souveraineté à peine acquise pouvait être remise en question à Genève, l’accord entre la France et le Cambodge n’ayant pas été ratifié par tous les belligérants. Sihanouk avait repris sa couronne et laissait à Penn Nouth la présidence du Conseil. Ce dernier était devenu un fidèle entre les fidèles, faisant tout ce que lui demandait son roi et le faisant avec compétence et discrétion.
La stratégie était simple : éliminer les rebelles avant le début de la conférence.
On s’adressa d’abord aux Khmers issaraks et aux Khmers sereis.
– Depuis le 9 novembre 1953, notre nation a recouvré sa liberté, votre combat contre la France doit prendre fin. Le Cambodge a besoin de tous ses fils pour assurer sa suzeraineté. Rejoignez-nous.
Beaucoup abandonnèrent la lutte et rentrèrent discrètement chez eux. Les chefs de maquis, qui rallièrent Sihanouk avec tous leurs hommes, obtinrent de ce fait un grade d’officier dans les FARK.
Son Ngoc Thanh, lui-même, demanda une audience au souverain pour négocier la soumission des Khmers sereis. Sihanouk jubilait.
– Ceci est hors de question. En tant que roi, je ne peux que souhaiter le retour de M. Son Ngoc Thanh. Il a choisi la voie des armes, mon chemin était plus pacifique ; j’avais raison, il avait tort. Mais ce n’est pas parce qu’il s’est trompé qu’il n’est plus un Cambodgien, le pays sera content de le voir rentrer… et cesser ses agressions. Mais le citoyen Sihanouk n’a aucune obligation de rencontrer le citoyen Son Ngoc Thanh.
Celui-ci ne déposa donc pas ses armes, mais ses hommes si. Personne ne fut inquiété. La rébellion non communiste fut ainsi réduite à une centaine de personnes tout au plus.
Il restait les troupes vietminhs. Là, il ne fallait pas espérer de reddition. Comme si une déclaration de guerre était nécessaire, Penn Nouth leur demanda de quitter le territoire.
– Notre roi, notre gouvernement, notre peuple vous invitent à respecter notre souveraineté, à repartir chez vous et à ne plus vous ingérer dans nos affaires […] S’il vous plaît, faites-le ! Ne nous obligez pas à intervenir contre vous. Vous avez jusqu’au 1er décembre.
Le délai passé, l’armée cambodgienne lança une série d’attaques contre des bases rebelles à Kompong Speu, Svay Rieng, Kampot et Battambang. Sihanouk avait enfin réglé son choix du responsable des FARK en se plaçant lui-même à la tête des troupes. Le voici, marchant, appuyé sur une canne, intrépide dans une jungle hostile, emplie de pièges et de mines, partageant le quotidien de ses hommes, buvant l’eau des rivières. Pour peu, il leur tirerait l’oreille ! Le service cinématographique des armées (françaises) suivait la progression des unités khmères, filmant avec beaucoup de détails les routes inondées et les multiples accrochages, l’arrivée dans les villages libérés, l’activité du médecin du roi soignant les paysans malades. L’opération s’appelait Samakki, ce qui signifiait « solidarité ».
Ce n’était pas qu’une simple parade. Certes, le petit maquis situé au nord-ouest était totalement isolé par la reddition massive des Khmers issaraks, mais ceux près de la frontière vietnamienne avaient résisté au corps expéditionnaire français. Oum Savath, en particulier, était très critique et trouvait l’attitude de son chef un peu légère, Soeun Kimsy, lui, avait confiance dans le charisme du roi. À la grande surprise du premier, tout se passa très bien. Ce fut facile de les vaincre, de les chasser des zones qu’ils occupaient, les troupes cambodgiennes étant épaulées par l’aviation française œuvrant depuis Saïgon.
Oum Savath, en bon militaire, regrettait cependant qu’on n’aille pas jusqu’au bout, qu’on ne poursuive pas l’ennemi, mais le roi, en bon politicien, voulait seulement marquer son autorité partout au Cambodge, pas détruire les forces d’Hô Chi Minh avec qui, tôt ou tard, il faudrait négocier. Politiquement, cela se défendait, mais militairement, c’était une erreur. Le Viêt Minh avait pourvu ses alliés laotiens d’un large territoire à revendiquer pour la conférence, il ne pouvait pas en faire moins pour les Khmers. Dans de telles conditions, on assure ses arrières, on ne laisse pas dans la nature de futurs combattants que l’on aurait pu éliminer.