Il a quitté la salle et Hou Yuon, Hu Nim, Khieu Samphân sont entrés. Sihanouk a ouvert de grands yeux en les voyant, puis sa joie a explosé. Il les a serrés dans ses bras. Il riait de bonheur, lui qui avait ordonné leur exécution.
– Mes amis, dites-moi comment vous avez pu… ? On m’avait assuré…
– Après vos menaces de mort, des soldats ont fait des repérages autour de chez nous. Ce n’était plus qu’une question de temps. Nous nous sommes réfugiés à l’ambassade de Chine pour demander l’asile politique. Pékin craignait en nous accueillant d’accréditer un soutien aux communistes cambodgiens, aussi, nous avons rejoint discrètement le maquis. Les manifestations pour dénoncer notre assassinat, le renvoi de Lon Nol nous ont convaincus de continuer à nous cacher.
Pour Hu Nim, c’était le même scénario, sauf que c’était les policiers de Kou Roun.
– De toute façon, nous étions plus en sécurité morts que vivants !
– C’est vrai que Lon Nol et Kou Roun sont redoutables, a confirmé en riant le Prince. Ainsi donc, vous avez réussi à diriger pendant deux ans l’insurrection marxiste sans que nous nous doutions que vous étiez toujours de ce monde, sans que l’un des vôtres nous livre ce renseignement.
Les trois fantômes se sont contentés de sourire. Pol Pot avait refusé de rencontrer Sihanouk, non qu’il ait la moindre réticence quant à l’alliance avec celui-ci, mais il voulait rester anonyme. Puisque chacun les croyait à la tête du parti, ils avaient été mis en avant. Seuls, ils savaient que leur aura avait beaucoup pâli.
Durant deux ans, ils étaient morts pour le monde entier, mais aussi pour les militants communistes. Ils se cachaient et ne participaient qu’à des réunions très importantes. Ils étaient terrés dans des huttes de paysans, loin les uns des autres. Ils n’avaient pas le droit de quitter leur pièce, même pour des besoins élémentaires. Pour raisons de sécurité ! C’était à en devenir fou. Leur prestige à Pékin qui les savait vivants n’avait pas régressé, c’était pour cela qu’ils se retrouvaient intégrés à la délégation khmère. Le refus de Pol Pot d’assumer ses responsabilités auprès de Sihanouk leur laissait entrevoir un retour sur le premier plan. Par une bizarrerie du destin, le Prince qui les avait condamnés à mort et qui était à l’origine de leur déchéance serait leur planche de salut.
Puis, la conversation a été technique. Sihanouk souhaitait rentrer pour se battre, revivre une nouvelle fois les péripéties de la Croisade royale, Hou Yuon a mis fin à ses rêves.
– C’est beaucoup trop tôt. Une fois dans le pays, vous seriez une cible privilégiée pour la clique qui règne à Phnom Penh. Nous ne sommes pas encore assez puissants pour assurer un minimum de protection, même dans la jungle. Vous pourriez vous réfugier dans les sanctuaires vietcongs, mais l’effet serait catastrophique. Le mieux serait de faire comme le général de Gaulle et de créer un gouvernement en exil, ici à Pékin.
La référence au grand homme avait rasséréné Sihanouk qui a abandonné toute velléité de retour.