L’ambassadeur d’Amérique à Phnom Penh était désespéré. Lon Nol avait été assez stupide pour fomenter un coup d’État sans s’assurer qu’il pourrait contenir les forces étrangères présentes sur son territoire. Ils avaient été contraints d’intervenir. À son insuffisance politique, le nouveau maître du Cambodge faisait preuve d’une inexpérience stratégique inquiétante, l’opération Chenla s’était soldée par la perte de l’aviation cambodgienne.
Malheureusement, il n’était pas le seul à être incompétent. Il avait échoué, il avait eu une attaque, Sirik Matak l’avait remplacé et… rien ! Celui-ci n’avait rien fait sur le plan militaire – on était pourtant en saison sèche – et il n’avait même pas essayé de s’emparer du pouvoir. Lorsque Lon Nol s’était retiré avec le titre honorifique de maréchal, on avait cru l’affaire réglée. Deux mois plus tard, il était à nouveau à la tête de l’armée, à la présidence du conseil, avec des facultés intellectuelles défectueuses.
Lon Nol était le plus incompétent, mais c’était le seul qui agissait !
– Messieurs, nous allons continuer l’opération Chenla, ce sera Chenla II et cette fois-ci, nous atteindrons Kompong Thom. En rétablissant la jonction entre cette région et Phnom Penh, nous assurerons le ravitaillement en riz de la capitale. Nous ne commettrons pas la même erreur que l’an dernier où nous avons perdu trop de temps à consolider notre progression.
L’état-major s’était insurgé avec énergie. Ils avaient passé de longs mois à panser les plaies de Chenla I, à remonter le moral des hommes, à affermir les lignes de défense.
– Si nous avançons trop vite, nous allons étirer nos forces le long de la route et il sera facile aux Vietnamiens de scinder notre colonne.
– Aucun risque ! Dès que notre adversaire pointera son nez, les bombardiers américains interviendront.
Les généraux se sont regardés. Si les Américains avaient donné le feu vert au plan, c’est qu’ils espéraient que les vietminhs sortiraient du bois, la faiblesse tactique n’était plus une erreur, mais un leurre. Ils restaient encore dubitatifs. Cependant, les cris de protestation avaient cessé. Comment douter que Lon Nol ne soit pas l’homme des Américains ? Ils l’avaient maintenu malgré le fiasco de la première offensive, malgré sa crise cardiaque, malgré son état physique déplorable (il marchait péniblement). Le pays ne pouvait rien faire sans l’oncle Sam, alors, un à un, les officiers ont approuvé l’opération et on a lancé sur Kompong Thom cinquante mille soldats avec tout l’équipement nécessaire, chars, camions, obusiers, véhicules de transport de troupes, sans se préoccuper d’assurer leurs arrières ou leurs flancs.
Trois mois plus tard, le 6 décembre 1971, Chenla II prenait fin avec l’effondrement de la colonne Lon Nol et plus de trois mille morts. Le général Creighton Adams a traduit l’erreur stratégique des forces cambodgiennes en disant « qu’elles avaient ouvert un front de soixante-cinq kilomètres de long et soixante centimètres de large » que les Vietnamiens ont fini par scinder puis par réduire. Plus d’aviation, plus d’armées, les objectifs de la guerre désormais se limiteraient à tenir le plus longtemps possible.