Hu Nim, qui depuis quelques années se battait pour les démocrates, qui organisait manifestation sur manifestation pour soutenir leur politique, ne fut pas surpris par le coup d’État. Après tout ce n’était que le troisième de ce roi qui s’éloignait chaque jour un peu plus de son peuple. Là, il avait simplement franchi une étape. C’était la première fois qu’il utilisait les forces françaises. La monarchie s’était radicalisée, elle avait choisi son camp. Ce qui le surprenait, par contre, c’était l’attitude très frileuse de son parti, les trahisons se comptaient par dizaines, la plus symbolique étant celle de Sim Var.
Le bombardement d’O Smach par les troupes de l’armée royale puis les nombreuses exactions qui l’avaient suivi montrait que le souverain n’avait pas plus de considération pour son peuple que les colons. Le Lycée Sisowath était en effervescence. Partout la jeunesse se mobilisait, on boycottait les examens de fin d’année. Hu Nim parvenait, avec ses amis, à organiser de grandes manifestations. Ils avaient réussi à mettre en grève les bonzes de l’École supérieure de pâli. Devant cette colère populaire, les Américains et les Français condamnèrent ouvertement le coup d’État. Mieux valait, disaient-ils, un gouvernement élu, même incompétent, à une dictature, guère plus efficient contre la guérilla. Encouragées par toutes ces réactions venant du monde entier contre le roi, les marches de protestation se multipliaient.
Au cœur du pouvoir, cela tanguait aussi. Lon Nol avait montré ses limites. Les deux frères, Monipong et Monireth, anciens officiers de l’armée française ne décoléraient pas, les autres se taisaient pour ne pas déplaire à Sihanouk, car, malgré tout, celui-ci s’entêtait à défendre son commandant. En partie par affection, en partie parce qu’il l’avait choisi connaissant son incompétence et qu’il ne pouvait donc pas le lui reprocher. Il parvint, habilement, à détourner la conversation. Plutôt que de dénigrer le malheureux, il fallait prendre des mesures urgentes pour mettre un terme à cette agitation. Quelqu’un proposa d’avancer les grandes vacances, puisque c’était surtout les lycéens qui se mobilisaient. À la surprise générale, ce fut plus efficace que d’envoyer la troupe pour maîtriser les émeutes et l’exécutif s’offrit deux mois de répit.
À Paris, les responsables de l’Association des Étudiants khmers (AEK) s’étaient réunis à la Cité internationale. La salle, immense, était pleine, chacun voulait parler et n’hésitait pas à intervenir quand le discours de l’orateur n’allait pas assez loin. Il faisait très chaud malgré les fenêtres ouvertes. Beaucoup découvraient qu’ils n’étaient pas seulement communistes, ils étaient aussi républicains. C’était un sentiment exaltant, comme une nouvelle naissance. Pouvait-on encore être Cambodgien en n’étant pas monarchiste ? Ils répondaient désormais OUI !
– Nous allons rédiger une lettre au roi pour désapprouver son coup d’État. Qui est pour ?
Une forêt de main se leva. Que dire à leur souverain ? Les propositions fusèrent.
– Sa Majesté a agi en hors-la-loi !
– Dans votre message à la nation, vous dites que le Cambodge court un grand danger, mais, Votre Majesté, le peuple le sait depuis longtemps ! Ce danger, c’est… la monarchie absolue !
– Le palais et ses parasites sucent le sang des paysans, voilà la cause la plus importante de la crise économique du pays !
On conclut la réunion en destituant Sihanouk par lettre, non recommandée, mais largement diffusée dans la population.
– Vous avez osé frapper le peuple en ses représentants, vous n’êtes plus notre roi !
La réponse de Sihanouk ne se fit pas attendre. Désormais, les bourses seraient soumises à la discrétion du politique, de nombreux élèves la perdirent et durent rentrer, le rêve brisé, d’autres bénéficièrent de solidarité, un des anciens responsables de l’association des étudiants khmers, Keng Vannsak, collectant des fonds auprès des démocrates et de ceux qui étaient revenus après avoir terminé leur formation en France et qui, tous, occupaient des postes gratifiants au Cambodge.