En cette année 1952, la ligne De Lattre tenait, protégeant le delta autour d’Hanoï. En plaine, la supériorité aérienne et l’équipement militaire du Corps expéditionnaire ne laissaient guère de chance aux Viêt Minh, mais la région des hauts plateaux était plus difficile à défendre.
La cible choisie par Giap était Nghia Lo, un poste dans une bourgade de 30 000 habitants, à 150 km au nord-ouest de Hanoï. Le Viêt Minh avait déjà tenté de s’en emparer l’année précédente, mais en ce début d’automne 1952, dès la fin de la saison des pluies, il lança trois divisions. La ville ne tint que trois jours, du 14 octobre au 17 ; les troupes françaises, en fuite, traversèrent la Rivière noire et se regroupèrent sur Na San. Les escouades des petits postes essaimés dans la région en firent autant.
Après la mort du maréchal de Lattre de Tassigny, son second, le général Salan, avait pris la tête du corps expéditionnaire. Il avait deux options, la première, la plus raisonnable, était de rapatrier son armée derrière les lignes défensives du delta du Tonkin et d’abandonner provisoirement les hauts plateaux, la deuxième consistait à se battre là où étaient ses hommes, loin de la plaine.
En réalité, il n’avait pas le choix. Il venait d’être nommé officiellement chef du corps expéditionnaire et ne pouvait commencer son commandement par une défaite ! Puisque Nghia Lo était tombé, il fallait faire de Na San un camp retranché suffisamment important pour arrêter trois divisions vietminhs. Pour le moment, ce n’était que quelques centaines de mètres de piste d’atterrissage dissimulée au fond d’une cuvette de 5 km sur 2 km, et quelques troupes apeurées.
Du 16 octobre au 30 novembre, Salan achemina 11 bataillons soit 15 000 hommes, 6 batteries, 125 véhicules et tout le matériel nécessaire à l’aide d’un pont aérien de 1 350 Dakota civils ou militaires et de 110 cargos Bristol 170. Deux équipes du génie, renforcées par des milliers de coolies, furent mobilisées pour aménager le terrain. On répara et on agrandit la piste qui mesurait désormais 1 200 mètres de long. Là se tiendraient les organes de commandement, l’équipement lourd et la logistique. Sur les collines proches qui entouraient l’aérodrome, de petits fortins furent bâtis puis reliés entre eux par des kilomètres de barbelés. Ce premier réseau défensif délimitait le camp retranché. Une seconde ligne de sept points d’appui (PA) fut installée sur des sommets, plus élevés et plus lointains, dominant la cuvette, permettant de briser des attaques directes contre la base, tandis qu’eux-mêmes, si on essayait de les prendre d’assaut, bénéficiaient de l’artillerie de celle-ci et de son aviation. Les stratèges appellent ceci une défense en hérisson.
Le 23 novembre, en soirée, un bataillon tenta de s’emparer du PA situé au nord de Na San. Il fut repoussé par la garnison sur place, épaulé par les batteries du camp principal, et qui reçut le renfort de troupes dans la nuit.
Le 30, après la tombée du jour toujours, Giap en lança neuf divisions contre deux PA extérieurs, à l’est et à l’ouest. Pour voir arriver l’ennemi et se battre dans le noir comme en plein jour, les avions furent utilisés à des « missions lucioles » qui consistaient à parachuter à haute altitude des bombes torches descendant lentement et éclairant durant toute sa chute le champ de bataille. Mais cette fois-là, le Viêt Minh réussit à s’emparer des positions. Désormais, il dominait le camp de base et pouvait détruire le terrain d’atterrissage. Il fallait reprendre ces PA le plus rapidement possible ! Ce fut fait, dans la journée, au prix de plusieurs heures de combat, avec un soutien aérien important et un pilonnage intensif par l’artillerie.
La nuit, Giap lança une attaque massive sur Na San, par le sud-ouest, tentant de nouveau de se réinstaller dans les collines, mais ce fut encore un échec. Enfin, il se retira, abandonnant 3 000 morts, la chute de Nghia Lo ne serait désormais qu’un épisode de la bataille que les Français remportèrent à Na San sous les ordres du général Salan. Le Viêt Minh avait été étrillé, Giap avait cherché l’affrontement final et il l’avait perdu ! Paris exultait, on sortirait sans doute la tête haute d’Indochine.