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VII - Page 3 sur 6 - Les 9 vies de Norodom Sihanouk

VII

Ce 20 juillet 1942, un cortège de plus d’un kilomètre partit de la pagode Laing Ka, remonta le boulevard Doudart de Lagrée, passa devant le lycée Sisowath, continua vers le Wat Phnom. Il y avait là des bonzes solidaires de leur camarade, des enseignants, des étudiants, des commerçants, des jeunes, des vieux. C’était la première manifestation nationaliste dans ce pays. Elle se dirigea vers les bâtiments administratifs de la Résidence supérieure en hurlant « Libérez l’achar Hem Chieu ! » Arrivée en vue de l’édifice, elle ralentit, les clameurs se turent. Face à la foule, une trentaine de soldats, en tenue kaki, l’arme au pied, mais la baïonnette au canon.

Pas de provocation ! Pas de provocation ! La consigne volait de bouche à oreille. Pach Chhœun se tourna vers Son Ngoc Thanh : « il faut prévenir les Japonais qu’ils envoient des observateurs, cela devrait calmer les Français ». Puis il alla vers les responsables du mouvement et fut surpris de les voir sourire. En se retournant vers la foule, il éclata de rire. Les bonzes, ils étaient plus de cinq cents dans la manifestation, ne doivent rien posséder si ce n’est la robe safran dont ils sont vêtus, un bol pour demander et recueillir l’aumône, un rasoir et la plupart portent en bandoulière dans le dos une ombrelle pour se protéger de la fureur du soleil. Tous avaient ouvert leur parasol, montrant ainsi qu’ils comptaient bien rester autant que nécessaire, eux aussi, en quelque sorte, l’arme au pied. Leur présence tranquille avait détendu l’atmosphère. On lut posément la motion exigeant la libération de l’achar Hem Chieu, les fonctionnaires écoutaient, accoudés à la fenêtre. Les forces de l’ordre ne bronchaient pas. Dix volontaires apportèrent le document aux responsables français. Le commissaire qui les reçut était plutôt bon enfant et il parcourut le texte, sourire aux lèvres.

– Désolé, dit-il, mais c’est du khmer. Je ne le comprends pas, il nous faudrait une traduction.

– Pas la peine, il s’agit d’une motion pour demander la libération de l’achar Hem Chieu.

– Certes, mais ce texte, qui a été signé par de nombreuses personnes, doit sans doute argumenter cette requête et nous devons étudier cette analyse. Trouvez quelqu’un qui puisse le transcrire en un français correct !

Embarras ! Il y avait dans la délégation beaucoup de religieux qui savaient lire le khmer et le pâli, mais étaient quasi analphabètes dans la langue de Molière. Le regard de chacun se porta alors vers Pach Chhœun, il était le seul parmi les présents à pouvoir traduire le document. On le fit venir, tandis que le reste de la députation rejoignait les manifestants pour leur demander de patienter, mais elle n’eut pas le temps d’atteindre la tête du cortège que des Français se saisissaient du directeur du Nagarvatta et l’entraînaient à l’intérieur de la résidence, pendant que les soldats pointaient désormais leur baïonnette vers la foule. Il y eut un flottement puis les gens tentèrent d’arracher le journaliste à son sort, la troupe s’avança, les bonzes maintenant utilisaient leur ombrelle comme bâton pour frapper leurs ennemis. Le rassemblement tournait à l’émeute.

– Aujourd’hui, vous avez semé des graines, M. Son Ngoc Thanh, il faudra attendre pour la récolte.

– Vous ne bougerez pas ?

Le lieutenant, responsable de la caserne de gendarmerie japonaise, secoua tristement la tête.

– Voyez-vous, mon ami, la France est appelée à disparaître de l’Asie à court terme et les peuples à recouvrer leur indépendance et nous sommes avec vous. Mais pour l’instant, le statu quo est de rigueur, plus que jamais. Nous avons besoin d’économiser nos forces pour les consacrer à la bataille des îles Salomon et à celle de Guadalcanal. Ce que vous font les Français aujourd’hui, dans le cadre du Protectorat, ils sont en droit de le faire, les contrarier reviendrait à une déclaration de guerre de notre part, ce que nous ne souhaitons pas.

Le Cambodgien était désespéré.

– Qu’allons-nous devenir ?

Le lieutenant se leva. Sanglé dans son uniforme, les mains dans le dos, évitant de regarder son interlocuteur, il continua.

– Toute grande cause demande des martyrs, voici le premier sang versé, mais votre combat doit se poursuivre. Je ne peux rien pour ceux qui manifestent, quant à vous, restez avec nous, ils ne viendront pas vous chercher ici. Ils n’ont pas non plus intérêt à nous déclarer la guerre.

Le Japonais se retourna et observa l’ex-journaliste.

– Monsieur Son Ngoc Thanh, aussi courageux que soit un intellectuel, l’indépendance ne se gagne pas avec une plume, mais avec un fusil. Nous allons faire de vous un soldat, nous allons constituer autour de vous les forces qui libéreront votre pays, qui l’arracheront à la France. Vous allez partir à Tokyo suivre une formation et quand le fruit sera mur…

La perspective fit frémir son interlocuteur. C’était enthousiasmant et effrayant. L’armée japonaise était assurément la meilleure du monde si un simple lieutenant pouvait avoir en lui une telle vision de l’avenir et des combats à venir.

En attendant, la répression s’abattait. Le Nagarvatta était interdit, son imprimerie confisquée, beaucoup des manifestants furent poursuivis et nombreux durent fuir le pays. Il y eut près de deux cents arrestations, la plupart des meneurs qui avaient été pris furent conduits au bagne de Poulo Condor et certains, dont Pach Chhœun, condamnés à mort. Seul Sim Var, protégé par les parents du roi, échappa à la vague de châtiments. Même le prince Monireth, son nom ayant été scandé par les émeutiers, fut mis en résidence surveillée. Beaucoup rejoignirent les maquis indépendantistes, l’un d’entre eux, l’achar Mean, créa une cellule clandestine du parti communiste indochinois. C’était la naissance de ce mouvement au Cambodge, le rebelle se fit appeler Son Ngoc Minh, une contraction de Son Ngoc Thanh et de Hô Chi Minh, un pseudonyme qui disait tout des liens potentiels entre nationalisme et marxisme. Le pays tout entier avait réagi à la violence policière, il n’y eut pas d’autre désordre, mais les consciences rêvaient d’un monde décolonisé.

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