Parmi les trois hommes que Sihanouk avait repérés au gouvernement, le seul lien commun était leur amitié-dévotion à sa personne.
Penn Nouth était discret, parlait peu et toujours à bon escient. Mince, un visage décharné avec de grandes oreilles, un nez bien marqué, une franche calvitie sur le haut du crâne, il était l’image même de l’intellectuel. Issu d’une vieille famille mandarinale, il était cultivé, modeste, calme et intègre, il avait connu un cursus scolaire brillant et ses ambitions se limitaient à servir l’État ou plus précisément celui qu’il considérerait comme représentant le plus la nation, à savoir le roi, à savoir Sihanouk. C’était sans hésiter qu’il avait abandonné son ancien mentor Ung Hy pour le suivre. Quelques conversions privées avaient permis à l’un et à l’autre de transformer leur admiration réciproque en affection profonde.
Nhiek Tioulong et Lon Nol se ressemblaient physiquement, une tête carrée, mais aux angles arrondis, de beaux cheveux ondulés, des traits empâtés, des lèvres gourmandes. Ils aimaient la vie, les petits extra et avaient une forte personnalité.
Tioulong avait grandi dans la région des lacs, dans une famille de riches bourgeois, proche du Palais, lui-même était un familier du prince Monipong. C’était un homme instruit, très ouvert aux multiples cultures et Dieu sait s’il y en avait au Cambodge entre Chinois, Chams[5], Vietnamiens, Khmers kroms. Il avait été gouverneur de la province de Pursat puis de celle de Kompong Cham avant de devenir maire de Phnom Penh. Leur amitié était venue de leur goût pour la littérature, le théâtre et la chair, la bonne et l’autre.
Le parcours de Lon Nol fut plus heurté. Son père étant responsable d’un village du côté de Prey Veng et ayant dix enfants, comme cela se pratiquait parfois au Cambodge, un oncle de Sihanouk, un Sisowath, éleva le jeune garçon au milieu des siens, lui donnant la meilleure éducation possible. Proche de Son Ngoc Thanh, il avait récupéré la direction des services de la police nationale. Sa ferveur religieuse, mi-mystique, mi-superstitieuse, qui assimilait un monarque à un dieu, lui fit préférer sa reconnaissance envers la famille royale à ses amitiés politiques, le roi au président du Conseil. Sihanouk était ainsi assuré de sa fidélité.
Monireth, qui rencontrait régulièrement des responsables français, fit le point des négociations en cours :
– De Gaulle veut une fédération d’états souverains, chacun jouissant d’une liberté propre, mais dont les intérêts à l’extérieur seraient représentés par la France. Il y aurait par ailleurs un gouvernement au niveau de l’Indochine entre les mains des Français et ses lois s’imposeraient. Bref, on se retrouverait dans une situation analogue à celle que l’on a connue sous Decoux. Cela pourrait être une base pour reconquérir notre indépendance.
Penn Nouth, qui avait participé aux débats du Conseil des ministres, n’était pas d’accord.
– Il faut être plus revendicatif ! Nous sommes très attachés à la France, mais personne ne souhaite revenir au Protectorat et ce qu’on nous propose n’est rien d’autre que cela. Le gouvernement a prouvé, en organisant les manifestations de septembre, et il le fera de nouveau par un référendum le mois prochain, que les gens ne veulent pas de ce nouveau statut.
Sihanouk approuva.
– Ce référendum est une excellente idée ! On ne peut effectivement accepter un tel retour en arrière et il est important que le peuple le dise. Ce qu’il fera !