La réunion fut, par bien des égards, étonnante. Il n’était plus la victime d’un coup d’État, mais un co-comploteur.
– Voyez-vous, M. Son Ngoc Thanh, il faut maintenir l’union de la nation si nous voulons avoir une chance de réussir à convaincre le monde que nous sommes capables de nous administrer seuls. Peu importe que ce moi ou vous qui dirige le gouvernement, mais vous devez garder des personnalités de tous bords.
– Votre Majesté pense en roi. C’est son devoir de préserver l’unité du peuple. Le président du Conseil, lui, a besoin, pour régir le pays, de pouvoir compter sur la loyauté de ses ministres, donc il ne peut avoir un représentant de toutes les sensibilités si l’une d’entre elles s’oppose à lui. Voilà pourquoi, il faut distinguer nos deux rôles et vous ne devez plus être présent lorsque le gouvernement se réunit. Par contre, nous pourrions nous voir régulièrement, vous demeurez la référence.
Puis il rajouta :
– Votre demande toutefois ne me pose aucun problème. Nous sommes une nation naissante ou se réveillant après un long sommeil, nous n’avons pas assez de compétences pour les gâcher et ayant travaillé avec certains d’entre eux, je sais que je pourrai leur faire confiance.
Ainsi, si les héros de la révolte des ombrelles et ceux qui participèrent à cette nuit du 9 août, comme Khim Tit, nommé à la Défense, occupèrent de nombreux postes, les partisans de Sihanouk eurent leur part. Ung Hy, l’ancien président du Conseil jugé profrançais, fut remercié, mais Penn Nouth, son bras droit, devint officiellement ministre des Finances, Nhiek Tioulong, le maire de Phnom Penh, obtint l’Éducation, Lon Nol, gouverneur de la province de Kratié, dirigerait dorénavant la police.
Sihanouk avait beaucoup appris ce soir-là. Sur lui d’abord : il était peut-être plus compétent politiquement qu’il ne le croyait, puisque, ne cédant pas à la peur, il avait pu convaincre son adversaire de maintenir ses amis au pouvoir ; sur son rôle de roi ensuite : il était le garant de l’unité de la nation ; sur la nécessité d’avoir des conseillers dont il eut une totale confiance pour finir s’il ne voulait plus être surpris.
Paradoxalement, l’entretien fut courtois, presque amical. Son Ngoc Thanh avait d’incontestables qualités.
Le 21 août, l’armistice entra en vigueur et le capitaine Konichi, l’officier de liaison japonais, en informa Decoux, retenu en captivité à Loc Ninh. Mais il n’avait aucune instruction concernant sa libération. Elles avaient reçu l’ordre de se rendre auprès des forces britanniques de l’amiral Mountbatten qui, n’étant pas sur place, leur avaient demandé de garder leurs armes, de faire respecter la loi et de laisser les choses en état. Implicitement, cela signifiait continuer à considérer les Français comme des prisonniers de guerre. Ironiquement, cela se traduisait par la nécessité, en attendant l’arrivée des Alliés, de conserver le statu quo. La doctrine de… Decoux !