Soutenu par son référendum qui approuvait très largement ses options politiques, Son Ngoc Thanh croyait avoir tous les atouts pour discuter en position de force. La capitale était en ébullition, on attendait les Français de pied ferme. Le 15 octobre, il se rendit à Saïgon pour négocier. Il fut condamné à 20 ans de travaux forcés pour agissements contraires à la sécurité des Alliés et du Cambodge.
Ce jour-là, Sihanouk avait pris soin de quitter Phnom Penh. Il était parti en pèlerinage avec son père, Suramarit, à la pagode Vihear Suor, situé à quelques kilomètres de la ville.
Cette pagode avait un aspect kitch qui laissait le visiteur mitigé. L’entrée était une arche avec sur le côté deux énormes serpents nâga. L’arc lui-même était soutenu par des éléphants de terre et surmonté de têtes de bouddha qui regardaient dans toutes les directions comme dans le temple du Bayon. À l’intérieur, tout était à l’avenant, grandiose et souvent ridicule. Mais le site était magnifique et les Cambodgiens, qui y priaient, sincères. C’était une caricature des édifices d’Angkor, mais ici la foi était vivante.
La partie, à Phnom Penh, était loin d’être jouée. La réaction des thanhistes fut rapide, Pach Chhœun et Sim Var, les deux amis de Son Ngoc Than, ceux qui avaient, avec lui, fondé le Nagarvatta, organisèrent une grande manifestation. Le lieutenant-colonel Paul Huard ne disposait que de 200 hommes. Monireth qui, en l’absence du souverain dont il était le représentant, avait le droit de nommer un nouveau président du Conseil, se désigna lui-même. Il fit alors une liste de ministres, une liste à la cambodgienne, c’est-à-dire d’union nationale. Il y avait des partisans de Sihanouk et de Son Ngoc Thanh, simplement les proportions étaient inversées ; les organisateurs de la protestation, loin d’être inquiétés, en faisaient partie. Huard s’insurgea.
– Ces deux individus sont très dangereux. Regardez la rapidité avec laquelle elles ont réussi à coordonner la réaction ! Vous ne comprenez pas, il faut frapper fort et vite. Le gouvernement doit se réunir et accorder à mes hommes la légitimité pour intervenir.
Mais Monireth fut intransigeant.
– Lieutenant-colonel, nous devons montrer aux Cambodgiens que nous sommes très attachés à la souveraineté de notre pays. Faire la guerre aux indépendantistes, ce serait donner l’impression de s’inféoder aux Français, fournir des arguments aux partisans de M. Son Ngoc Thanh. Nous voulons que le peuple comprenne que le problème était le Premier ministre, et uniquement lui, pas le nationalisme cambodgien, c’est ce que souligne le cabinet que j’ai mis en place, et cela nous incite, si nous en avons la possibilité, à ne procéder à aucune arrestation. Je vais dépêcher deux émissaires pour discuter avec Pach Chhœun. Je vous garantis que la manifestation se passera pacifiquement.
L’envoyé de Leclerc fit grise mine, mais les Cambodgiens faisaient bloc. Il valait mieux céder en attendant le retour de Sihanouk.