En avril 1942, après cinq mois de combats ininterrompus où les armées de l’Empire du soleil levant avaient affirmé partout leur suprématie, leurs conquêtes avancées dans le Pacifique Sud leur permettaient désormais d’envisager une attaque du nord de l’Australie. Les îles Salomon et la Nouvelle-Guinée étaient les nouvelles cibles. Les troupes d’invasion maritime étaient soutenues par trois porte-avions dont un léger et une escorte de croiseurs et de destroyers. Ce qu’ignorait le vice-amiral Inoue, commandant de la marine impériale, c’est que les Américains avaient cassé leur code secret et ils rencontrèrent une flotte équivalente. Après deux jours d’affrontement impitoyable, les Japonais abandonnèrent leur projet, mais la tête haute, les Américains ayant plus souffert qu’eux avec un destroyer, un pétrolier et un porte-avions détruits, le second, le Yorktown, étant en plus très endommagé.
L’objectif prioritaire de l’amiral Yamamoto était l’élimination des porte-avions américains qui avaient échappé par miracle au désastre de Pearl Harbor. Le bilan de la bataille de la mer de Corail était donc pour lui très positif, bien qu’en fait, parmi ceux des Japonais qui participèrent au combat précédent, les deux, n’étaient plus disponibles, l’un légèrement touché étant en réparation, l’autre ayant perdu tous ses appareils, tandis que le Yorktown avait été remis à flot en urgence et avait rejoint l’Entreprise et le Hornet. Ainsi le score passait de 0-2 en faveur de l’armée nipponne à 2-1 à son désavantage. Néanmoins, Yamamoto jouait encore à quatre contre trois.
Il souhaitait désormais parachever le travail en attirant les Américains dans un duel dont les bateaux de ce type seraient l’enjeu réel[12]. Il avait choisi, pour lieu de la confrontation, l’atoll de Midway au centre du Pacifique. Les îles n’avaient aucun intérêt stratégique, mais un débarquement obligerait son adversaire à intervenir, en lançant ses dernières forces, c’est-à-dire ses trois porte-avions.
Le 4 juin 1942, quand l’amiral Nagumo se présenta devant Midway, il pensait avoir le temps de s’en emparer pour s’en servir comme appui au cours du choc final. Il engagea un premier raid sur Midway. À 7 h 10, le premier assaut était terminé et on s’apprêtait à déclencher le deuxième lorsque l’on annonça l’éventuelle présence d’un porte-avions américain.
– C’est impossible, se disait l’amiral Nagumo, ils ne peuvent pas déjà être là ! C’est une intox pour bloquer nos attaques.
Il fit néanmoins remplacer les bombes par des torpilles afin de préparer le combat aéronaval. Tandis qu’il voyait de sa passerelle les marins s’agiter, le doute devint certitude. Pearl Harbor se trouvait à 1 300 miles de Midway ; si porte-avions il y avait, cela ne pouvait être qu’un léger, à moins que ce ne soit tout simplement un grand bateau et qu’il y ait eu une confusion. Ce ne pouvait, en aucun cas, être le gros des forces américaines[13]. Il donna l’ordre de recharger les appareils. Quand les Dauntless, les bombardiers américains, surgirent et frappèrent, les zincs étaient sur le ponton et on essaya en toute hâte de remettre des torpilles pour qu’ils puissent se défendre, protéger et attaquer. En quelques minutes, le Kaga, l’Akagi et le Soryu furent coulés. Le Hiryu, le dernier des quatre, subit le même sort deux heures plus tard durant la traque de la flotte japonaise.
Les marins français ont un mot très imagé pour indiquer cet instant précis où la marée change de sens, ils appellent cela « la renverse ». Si 1941 fut l’année des décisions tragiques pour le camp Rome-Berlin-Tokyo, 1942 fut celle de la « renverse ». En Russie, Stalingrad, en Afrique du Nord, El Alamein et dans le Pacifique Midway.