Monireth marchait à ses côtés, tout en l’observant. Pour le détendre, il lui montra des individus tout aussi perdus que lui. C’étaient des paysans, dont les vêtements noirs traditionnels, les visages mal rasés, le regard affolé tranchaient avec l’exubérance des citadins. Profitant du couronnement, les plus hardis avaient décidé de découvrir la capitale et le regrettaient déjà.
Ce n’était que le prélude. Ils atteignirent bientôt le palais. L’enceinte n’étant pas très élevée et se terminant par des créneaux reproduisant le motif d’une feuille d’arbre stylisé, ils purent à loisir admirer les toitures aux tuiles oranges et vertes, garnies de multiples flèches et autres pignons. À l’intérieur, les bâtiments étaient plus hétéroclites et, face à la magnifique Pagode d’argent, en bois et en brique, aux sols pavés de 5 329 plaques d’argent de plus d’un kilo chacune, aux murs peints de scènes du Reamker, le Ramayana cambodgien, on trouvait un pavillon français à deux étages, couvert d’une coupole et décoré d’ornements prétentieux[5]. Bien qu’immenses, les édifices semblaient perdus dans la verdure.
Une fois dans le parc, changement d’ambiance. Des multiples chapelles montées pour l’occasion s’élevaient les psalmodies des brahmanes[6] – on les appelait des bakous – qui récitaient jour et nuit, en se relayant, des prières pour le nouveau souverain. Dans des pagodes, les bonzes en faisaient autant et les deux religions se répondaient, se défiaient, s’unissaient.
– Au Cambodge, tu ne verras pas souvent de brahmane et pourtant c’est de leur croyance que le roi tire sa légitimité. Retiens bien ceci, Sihanouk, nous sommes une grande et vieille nation, nous bâtissions des palais et des temples en un temps où d’autres se contentaient de huttes en terre battue. Nous devons le réaffirmer chaque fois que nous le pouvons, nous ne devons oublier ni notre passé ni la religion de nos pères. Le couronnement de ton grand-père, ce n’est pas une fête pour son arrivée au pouvoir, c’est l’Histoire qui se raconte. Chaque vêtement, chaque geste, chaque mot ont leur importance.
Sihanouk regarda son oncle, apeuré. Celui-ci était devenu si sérieux. Il avait commencé par dire « Retiens bien ceci » et le petit n’avait plus rien compris. Monireth lui tapota la tête. Il s’était encore une fois laissé emporter. Il s’était cru pédagogue, il avait été pompeux.
– Allons, mon neveu, ne sois pas effrayé ! Tu verras ta maman dans le défilé et puis, ce soir, tu passeras la nuit avec elle. Mais pour le moment, ma sœur est très occupée, elle adore se mêler du protocole qu’elle connaît parfaitement et Père a besoin d’elle. Pour notre part, on va filer s’habiller comme des princes (ce que nous sommes), ton grand-père ne voudra sûrement pas avoir des mendiants à sa fête.