– Tant qu’il est petit, il ne pourra pas se défendre. Par chance, ses ennemis ne connaissent pas son existence et quand il sera grand, il saura les vaincre, c’est ce qu’affirment les signes. Si vous souhaitez lui laisser une chance de lutter contre vous, évitez-le autant que possible tant qu’il est trop jeune pour vous tenir tête.
Kossamak était effondrée, Suramarit et sa sœur Rasmi Sobhana l’entourèrent. L’astrologue rangeait ses documents, ses calculs. Il déposa une petite feuille, un résumé, et partit le plus vite possible. La pauvre mère s’était tue. Soudain, elle se redressa, regarda son mari avec colère.
– C’est ton père ! Ton père ! Oh, il m’a fait de beaux sourires, il m’a appelé sa fille, mais au fond, il ne veut pas de moi et il a comploté tout cela avec cet escroc.
Elle n’avait plus besoin de soutien, la rage lui servait de béquille.
– Bien sûr ! Ce prénom guerrier, Sihanouk, le prince‑lion ! Il était au courant de tout, il savait qu’il serait un futur leader. Il a rencontré l’astrologue du roi et lui a demandé de rajouter cette clause ignoble !
– Tu es folle ! s’insurgea Suramarit. Père a peint le nom bien avant la naissance et on ne peut pas faire l’horoscope d’un enfant avant qu’il ne voie le jour, sans connaître l’heure et la date. Calme-toi ! Il y a sûrement…
– Non, je ne permettrai pas à ce charlatan de me séparer de mon fils. Je vais le faire chasser du palais ! Oser…
Elle s’arrêta, complètement affolée. Ce n’était pas un simple diseur de bonne aventure, c’était l’astrologue royal, le souverain avait confiance en lui.
Le rattraper avant qu’il n’ébruite la prédiction !
L’idée traversa son esprit, mais il était trop tard. Elle se laissa tomber sur une chaise. En sortant de chez eux, il était sans doute allé annoncer les résultats de son travail au roi Sisowath, l’arrière-grand-père, et au prince Monivong, le grand-père. Peut-être même devant la gravité de ce qu’il préconisait, leur en avait-il parlé avant ? On lui avait donné le feu vert : modifier la teneur d’un horoscope ne change en rien le futur.
Suramarit posa la main sur son épaule, cela la fit hurler de dégoût.
– Éloigne-toi de moi ! Vous croyez que vous, les Norodom, allez profiter de mon fils, de ma chair. Tu prendras demain une autre femme, tu penses que je vais accepter qu’elle mette le grappin sur lui, qu’il l’appelle « Maman ». Jamais ! Je suis sa mère, c’est ma famille qui élèvera Sihanouk. Tu n’auras que le droit de venir le voir… de temps en temps. Autant que moi !
Elle partit en claquant la porte. Suramarit s’assit dans un fauteuil, il saisit calmement son porte-cigarette ainsi que son paquet de gauloises et en coinça une dans le tube de nacre. Ses gestes étaient lents. Sihanouk faisait des prodiges. Kossamak et lui avaient tenu tête et vaincu les Norodom et les Sisowath réunis, leur amour en était ressorti plus grand, plus fort. En naissant, le petit prince l’avait balayé.