– Père a parlé de Son Altesse Royale en disant d’elle qu’elle ferait un bon roi !
Rasmi Sobhana n’en croyait pas ses oreilles : toute son enfance, elle avait entendu dire du mal de ses cousins, les Sisowath.
– Décidément, Kossamak et toi, vous faites des miracles !
– Ce n’est pas nous, c’est ce bébé. Si – ha – nouk. Père a eu une idée merveilleuse. C’est un nom qui se retient bien, qui claque. Sans doute est-il destiné à un grand avenir. D’ailleurs, on attend sous peu l’astrologue du palais.
Rasmi Sobhana songea que le petit être qui se tenait dans le berceau en tek avait réalisé un miracle. De nouveau, elle avait un frère et Suramarit des parents. Elle avait hâte d’entendre quel destin lui serait réservé, lui qui apportait en naissant la paix et le bonheur.
L’arrivée de Kossamak interrompit ses réflexions. Elle se précipita pour l’étreindre. C’est vrai que cette dernière n’était pas très haute et, bien qu’elle-même soit de petite taille, elle la dominait d’une demi-tête. Elle allait la féliciter quand elle s’aperçut qu’elle n’était pas venue seule, un homme l’avait suivie, discrètement. C’était un Cambodgien bien plus âgé qu’eux. Une peau sombre, des traits fins, un visage impassible, mais traversé d’une impression de grande bienveillance, des cheveux argentés, habillé à l’européenne en chemise et cravate. Elle n’eut aucun mal à reconnaître l’astrologue du palais. Tout le monde se regroupa autour de lui.
Dès qu’on l’interrogea, il déroula sur une table un rouleau où une sphère était dessinée. Cette sphère céleste était partagée en douze, puis des arcs de cercle, des triangles venaient se rajouter, enfin des symboles complétaient l’ensemble. Il y avait une certaine harmonie dans la confusion qui y régnait et Suramarit songea que cela ferait une belle toile au milieu du salon. Une étrange décoration ! Votre destin en peinture au vu et au su de tous et pourtant toujours aussi mystérieux.
– Comme vous le savez, nous sommes dans l’année du chien d’eau[4], plutôt positif pour un prince de ce rang. Ce que nous travaillons, c’est l’étude du ciel ce 31 octobre à 19 h, heure de sa venue au monde, pour déterminer si ce signe et cet élément se trouvent renforcés ou atténués. Pour cela, nous regardons également ceux de ses ascendants…
L’astromancien, emporté par son sujet, commença à expliquer son dessin, sa démarche. Au début, c’était facile à suivre, Sihanouk était né en l’année du chien, l’élément était l’eau. Chien = fidélité ; eau = fertilité, générosité, imagination. Le reste s’avérait plus compliqué et Suramarit, qui ne s’intéressait pas plus que cela à l’astrologie, cessa d’écouter et attendit que le professionnel en arrive aux conclusions, s’étonnant de l’intensité avec laquelle sa femme Kossamak prêtait attention.