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XVIII - Page 11 sur 16 - Les 9 vies de Norodom Sihanouk

XVIII

Moustic ouvrait grand les yeux, il y avait du Mary Poppins chez sa mère. Son sac à main était devenu une véritable corne d’abondance. Last input, first output, elle avait commencé par sortir le dessert, tartelettes, mille-feuilles et éclairs en miniature, puis les feuilletés au fromage, chaussons farcis et croissants pour enfin terminer avec des petits sandwiches au jambon beurre moutarde (ses préférés). Il y en avait aussi au saumon et au caviar, finement aromatisé d’un zeste de citron. Pour un enfant qui ne mangeait du pain que le dimanche, l’émerveillement était total.

Nouveau Robin des bois, Pauline avait pillé le buffet de l’ambassade de France et n’avait dû laisser que quelques miettes aux autres invités. Connaissez-vous une seule mère capable d’un tel exploit ? Il n’y avait pas que l’habileté qui intervenait, il fallait aussi de l’audace, Moustic le savait, et cela le remplissait d’un effroi rétrospectif et d’un immense sentiment de reconnaissance. Tout a été partagé avec la plus parfaite justice comme il sied dans les familles nombreuses et les enfants se sont régalés tandis que Pauline racontait sa soirée. Elle avait toujours reproché au général son attitude hautaine, tout le contraire de Pétain qui donnait l’image d’un grand-père auprès des Français, mais l’ayant rencontré en chair et en os et l’ayant salué, elle s’était aperçue que c’était un être d’une extrême sensibilité, prenant le temps d’un petit mot avec chacun. Et puis, il y avait madame de Gaulle. Une grande dame. Et d’une simplicité !

Son mari était moins enthousiaste, il était même inquiet. Certes, l’individu avait du charisme, mais il ne semblait pas avoir compris la conjoncture, pire, il n’était pas l’homme de la situation. On avait besoin d’un sage doublé d’une personnalité reconnue pour réconcilier le Cambodge avec l’Amérique sans obliger l’une des parties à manger son chapeau.

La position du Cambodge était en effet si délicate qu’elle était, en réalité, désespérée. Convaincu depuis l’assassinat de Diêm que, malgré l’implication toujours plus importante de leur armée, les Américains ne gagneraient pas la guerre, car c’était désormais la leur, et non un conflit entre les deux Viêt Nam, Sihanouk avait abandonné le neutralisme qui était la seule option viable et s’était rapproché du camp communiste. En quelques mois, il avait délaissé l’aide américaine et, pour complaire à ses nouveaux amis, nationalisé les banques, mis sous tutelle le commerce extérieur, organisé de grandes manifestations contre les ambassades britannique et américaine. Ces derniers ont comme d’habitude chargé Saïgon de la réplique. Des troupes, aviations et blindés sud-vietnamiens ont pénétré au Cambodge, dans la province de Svay Rieng, tuant et pillant les villages de Taey, Thlork, Anlong Krés, etc. En riposte, le général Lon Nol avait signé à Pékin un traité militaire secret khméro-chinois par lequel le Cambodge s’engageait à accueillir, à protéger les combattants vietminhs dans les zones frontalières. Pire, l’équipement de ces derniers n’utiliserait plus la piste Hô Chi Minh, mais transiterait tranquillement par le port de Sihanoukville avant d’arriver chez eux dans les camions de l’armée cambodgienne contre dix pour cent de ce trafic. Tout le monde y trouvait son compte. Les soldats khmers récupéraient du matériel dont ils étaient privés depuis que les liens avec l’Amérique s’étaient distendus, les officiers supérieurs d’énormes sommes d’argent en revendant au FNL le surplus dont leurs troupes n’avaient pas l’usage, les Vietnamiens n’en ayant jamais assez pour lutter contre l’oncle Sam alors que les hommes de Lon Nol en avaient toujours de trop pour se battre contre personne. Même les paysans, qui ont été si souvent les oubliés, ont profité de l’aubaine et ont écoulé leur riz, au prix de l’or, auprès des vietcongs, au lieu de les offrir pour une misère dans la capitale.

Désormais, le gouvernement américain accusait officiellement le Cambodge d’accorder des sanctuaires au Viêt Cong et des commandos ont reçu l’autorisation d’agir en territoire cambodgien, tandis qu’au Nord, la Thaïlande, foulant au pied toutes les résolutions de l’ONU, s’en prenait de nouveau aux temples de Preah Vihear.

Il fallait mettre un terme à cette escalade et l’ultime espoir de Sihanouk était la France. De Gaulle avait réussi à sortir son pays de la crise algérienne et à garder une certaine indépendance par rapport aux deux blocs, tout en étant un allié loyal des Américains.

– Nous pouvons le convaincre de notre bonne foi et lui nous soutiendra. Vous savez, la première fois que je l’ai rencontré, il m’avait accueilli avec simplicité pour un thé avec sa femme. C’était au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il m’a traité un peu comme un petit frère à qui l’on donne quelques conseils utiles, mais cela n’avait rien de condescendant, c’était affectueux. Je les ai suivis et je m’en suis bien porté.

Il voulait que la visite du général soit un événement marquant.

– Ce n’est pas un président français comme un autre, c’est l’Histoire que nous accueillons aussi. Ce qu’il a fait pendant la Seconde Guerre mondiale, ce qu’il a fait en Algérie est remarquable. Je désire que son séjour reste dans toutes les mémoires. Mobilisons toutes les écoles ! Convoquons pour lui le ballet royal, les temples d’Angkor, que rien ne manque.

Monique, voyant l’énervement de son mari, a noté en riant que Sihanouk était très fier d’avoir été reçu en toute simplicité par De Gaulle, mais qu’il voulait, de son côté, lui offrir tout le décorum de la monarchie khmère. Sihanouk l’a regardé, amusé lui aussi. Elle n’avait pas tort, mais il a persisté :

– Quand un pays puissant accueille avec faste, il fait surtout étalage de sa force, de sa richesse et il humilie son invité ; en le faisant sans affectation, il abolit leur différence. Au contraire, une petite nation ne peut montrer que son attachement en déployant toutes les marques de respect.

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