Guerre froide.
Deux mots et le destin de l’Indochine bascula.
Tous les procès en cours furent interrompus sine die et les colonialistes redressèrent la tête. Georges Féray, lui-même, bénéficia de ce nouveau climat. Son journal, La Vérité, fut suspendu définitivement, mais toutes les accusations pour collaboration furent enterrées et il put éditer une autre publication La Liberté, un titre dans l’air du temps puisqu’il évoquait le bonheur des peuples d’avoir vaincu le nazisme et le fascisme. En Indochine, cela avait aussi une signification toute différente, plus tournée vers l’avenir, plus revendicative.
Il était content de retravailler, même s’il protestait contre cette clémence ! On ne devait pas passer en pertes et profits les années Decoux ! Le retour au pouvoir de ces pétainistes le dégoûtait. Il songeait à ses amis qui avaient pris des risques et qui n’étaient pas revenus des camps. Pauline laissait son mari lui expliquer avec de nombreux arguments tout le mal qu’il pensait de tout le bien qu’on lui faisait, elle ne voyait que le bon côté des choses. Ils avaient réussi à traverser ces années de guerre, dont les cinq mois terribles de l’occupation japonaise, sans trop souffrir. Du moins, les sacrifices, les blessures étaient sans commune mesure avec ceux qu’avaient subis leurs connaissances ou les Français de la métropole et, aujourd’hui, ils pouvaient envisager de rester au pays. Elle regarda la photo jaunie de sa mère, qui trônait dans le petit autel familial, avec infiniment de tendresse et de reconnaissance ; elle n’avait pas le moindre doute : la vieille dame, morte en 1938, juste avant que le monde ne bascule dans l’horreur, avait veillé sur eux. Avec ses cheveux blanchis, tirés vers l’arrière en un sage chignon, ses yeux doux et son sourire plein de compassion, elle murmurait que le passé n’avait pas disparu, que demain demeurait sans malice.
Quand la France avait remis la main sur leur ancienne possession, elle l’avait fait avec beaucoup de précautions, de prévenance pour ses habitants qui avaient évolué loin de la métropole et s’étaient découvert de nouvelles aspirations. On leur disait : « Durant ces cinq années si difficiles, que nous avons connues, votre peuple a su affirmer un sentiment national, mais aussi un sens de la communauté française, le retour à la situation précédente est impossible ».
Dans l’esprit des dirigeants français, portés par la Résistance, l’empire français devait faire la place à une sorte de Commonwealth. Le général Leclerc et Hô Chi Minh avaient signé des accords ouvrant cette voie malgré des critiques de part et d’autre que leur prestige avait fait taire.
La guerre froide balaya tout cela.